Art contemporain

Olafur Eliasson, miroir des vanités

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 24 juin 2016 - 786 mots

VERSAILLES

Le militant écoloresponsable est le nouvel artiste invité à Versailles, où il déploie les thèmes qui lui sont chers avec une modestie inattendue dans ce lieu.

Versailles et l’histoire de France : lorsque l’on évoque ce sujet avec Olafur Eliasson, celui-ci rappelle avec malice que c’est un volcan islandais qui fut à l’origine de la Révolution française. Les nuées de cendres projetées dans l’atmosphère par l’éruption du Laki, en juin 1783, plongèrent en effet le royaume de France dans la désolation en provoquant un hiver rigoureux qui fit périr les récoltes et déclencha la famine. Selon certains historiens, ce bouleversement climatique a réveillé une autre colère, révolutionnaire celle-ci, qui ne fit cette fois pas tomber des cendres mais des têtes, dont celles de Louis XVI et de Marie-Antoinette.

Et le soleil fut
Cette histoire, Olafur Eliasson ne la raconte pas seulement pour l’anecdote, mais parce qu’elle fait sens. Né en 1967 à Copenhague au Danemark, l’artiste a passé son enfance en Islande, d’où étaient originaires ses parents. Ainsi lui, l’artiste des phénomènes climatiques, dont le travail revendique une portée sociale et responsable (en tentant d’apporter des réponses écologiques et économiques aux défis du XXIe siècle), est-il l’invité, plus de deux siècles après le Laki, de Versailles, son château et
ses jardins.

D’aucuns n’ont pas manqué de faire le lien entre le Palais voulu par le « Roi-Soleil » et le plasticien qui, en 2003, réussit à recréer l’illusion d’un soleil à la Tate Modern de Londres (The Weather Project). Monumentale, l’installation, qui consistait en un immense écran semi-circulaire rétroéclairé par deux cents ampoules et prolongé par un support en aluminium afin de donner l’illusion d’un disque solaire parfait, a littéralement marqué son époque. Impossible, après elle, de réaliser une œuvre monumentale comme avant !

Olafur Eliasson s’était déjà approprié l’étoile de façon magistrale, en 1999, en érigeant un écran en tôle métallique jaune de 38 m de diamètre au sommet d’un bâtiment industriel d’Utrecht, aux Pays-Bas (Double Sunset). Éclairé par les projecteurs d’un stade voisin, cet écran reproduisait la vision d’un soleil couchant, visible depuis toute la ville…

2016, à Versailles : autre époque, autre lieu. Olafur Eliasson n’a pas cédé à la tentation du monumental, pas cette fois, prenant même le risque de produire des œuvres de dimensions réduites – à l’instar du Regard de Versailles, discrète paire d’yeux placée dans la galerie basse du château, que le public pourra ne pas voir… Pas le temps sans doute, ni les moyens ; ni même l’envie de rivaliser avec un monument à l’échelle et à la symbolique qui le dépassent. Toutefois, l’artiste est bien venu avec ses soleils dans ses valises, dont Deep Mirror (Yellow) et Deep Mirror (Black), éclipses ludiques de soleil et de lune qui se font face dans le salon de l’Œil de bœuf – salon ainsi nommé pour sa lucarne. Un peu plus loin dans le parcours, un double miroir solaire suspendu renvoie l’image de la salle des Gardes du roi (Solar Compression). Une œuvre lumineuse et tournoyante, très séduisante, qui fait prendre conscience au visiteur que l’artiste veut finalement moins lui montrer les décors de Versailles que son égocentrisme, cultivé dans ses selfies.

Le visiteur doit dès lors rebrousser chemin jusqu’au salon d’Hercule, et cette installation qui, au départ du parcours, semblait si anecdotique : une série de miroirs placés derrière des portes vitrées et qui renvoient aux spectateurs leur reflet. L’effet serait seulement saisissant, si l’œuvre n’était pas intitulée The Curious Museum, que l’on traduira par « le curieux musée » ou « le musée des curiosités ». Les curiosités n’étant que les spectateurs et leurs lots de vanités…

Eliasson, dieu de la fertilité
Le parcours se poursuit dans le jardin, où Olafur Eliasson rend hommage à l’eau : la brume, la cascade, la glace. Dans le bosquet de l’étoile est installé Fog Assembly, un brouillard fait de vapeur d’eau qui ne procure pas davantage d’émotion qu’un brumisateur à la terrasse d’un café. Au moins l’œuvre aura-t-elle des vertus rafraîchissantes cet été… Dans le Grand Canal, le plasticien a érigé l’une de ses immenses cascades (Waterfall) ; on lui préférera le bassin de Latone récemment restauré.

Dans le bosquet de la Colonnade se trouve en revanche une œuvre moins imposante, mais plus intéressante. Tout autour de Proserpine, ancienne déesse agraire sculptée par Girardon, Eliasson a disposé une pellicule de moraine déshydratée, tapis de résidus d’arbres et de roches érodés par les glaciers du Groenland. Selon des scientifiques, une couche de cette terre suffirait à fertiliser n’importe quel sol et à résoudre le problème de la faim dans le monde. Un appel aux consciences que n’aurait sans doute pas entendu Louis XVI, mais qui lui aurait peut-être permis de sauver sa tête.

Olafur Eliasson Versailles

jusqu’au 30 octobre 2016. Dans les jardins et le château de Versailles, Versailles (78).
Le château : ouvert tous les jours de 9 h
à 18 h 30, sauf le lundi. Tarifs : 15 et 13 €.
Les jardins : ouverts tous les jours de 8 h
à 20 h 30. Entrée gratuite sauf les jours des Grandes Eaux Musicales et des Jardins Musicaux. Commissaire : Alfred Pacquement. www.chateauversailles.fr
 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°692 du 1 juillet 2016, avec le titre suivant : Olafur Eliasson, miroir des vanités

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