Collectionneurs

Collectionneurs chinois - La nouvelle donne

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 21 avril 2016 - 1193 mots

Le début du deuxième millénaire aura été celui de l’explosion de l’art chinois, emmené par une Chine en plein développement et des collectionneurs privés entreprenants.

Après Kiefer, Serra, Boltanski, Kapoor, Buren et les Kabakov, c’est au tour d’un autre artiste contemporain de renommée internationale, Huang Yong Ping, d’investir la Nef du Grand Palais avec des œuvres magistrales. L’installation spectaculaire conçue par ce représentant de l’avant-garde artistique chinoise se veut une réflexion sur les transformations de notre monde. Le spécialiste de l’Asie, galeriste et art advisor Jean-Marc Decrop, considère Huang Yong Ping comme « l’un des plus grands artistes chinois, qui a influencé nombre de jeunes talents ; les carnets qu’il remplit chaque jour de manière compulsive regorgent d’idées et de croquis ». La Fondation Vuitton a pour sa part proposé une rétrospective de la création contemporaine de l’empire du Milieu avec « Bentu », en collaboration avec le Centre Ullens de Pékin, mélangeant des artistes confirmés et émergents comme Liu Wei, Xu Zhen, Yang Fudong et Xu Qu. « Il y a une nouvelle génération d’artistes trentenaires qui se distinguent de la précédente car plus conceptuels, abstraits, globaux, tel Xu Qu avec sa série Currency War dénonçant l’entrée massive de la finance dans l’art. Après quatre ans passés à Berlin comme assistant de John Armleder, il est revenu à Pékin où il est suivi par les institutions culturelles comme la K11 Art Foundation du collectionneur Adrian Cheng », poursuit Jean-Marc Decrop.

La Chine, deuxième puissance économique
Cette dernière décennie, la scène contemporaine chinoise n’a cessé de se développer, au point de représenter en 2014 le premier marché mondial de Fine Art selon Artprice, au coude à coude avec les États-Unis, lesquels ont cependant repris l’avantage l’an dernier. Si, comme le souligne Jean-Marc Decrop, « le marché de l’art contemporain chinois a connu un ralentissement de 25 % en 2015 et se veut beaucoup plus sélectif, on note toujours des prix très élevés pour les artistes phares chinois et un intérêt certain pour les jeunes ; seul le milieu de gamme souffre d’une moindre attention ».

Car de par sa taille, l’ancienneté de sa civilisation et une certaine tradition issue des empereurs et des gens lettrés, la Chine compte énormément de collectionneurs qui pourraient bien peser de plus en plus lourd sur la scène mondiale, tout comme la diaspora de 60 millions de Chinois, pour faire rayonner leurs artistes. « Si, en ce qui concerne l’art contemporain chinois, ce sont d’abord les étrangers, principalement les Européens et, dans une moindre mesure, les Américains, qui ont donné l’impulsion, les Chinois ont commencé dans un second temps à constituer des collections avant de s’y mettre massivement vers les années 2005-2006, ce qui a propulsé ce marché à des niveaux stratosphériques », analyse celui qui est aussi l’auteur avec Jérôme Sans de l’ouvrage China The New Generation.

La Chine étant devenue la deuxième puissance économique, cela a facilité l’émergence de millionnaires (1,3 million selon le cabinet WealthInsight) dont certains sont de fervents collectionneurs. Et ces acheteurs aiment en outre à se regrouper en sociétés, pour encourager les expositions, telle la Min Chiu Society, à Hong-Kong, qui veut faire connaître l’art chinois à l’international. Le classement Artnet des deux cents plus grands collectionneurs recense ainsi douze Chinois. Parmi eux, Adrian Cheng, 35 ans, héritier du groupe hongkongais New World qui possède des centres commerciaux avec des espaces dédiés à l’art contemporain ou des palaces comme Le Crillon à Paris. Via sa K11 Art Foundation, il est mécène du Palais de Tokyo où il prend en charge à l’année le coût du commissaire chinois Joe Tang ; il a ainsi aidé au financement de l’exposition « Dans l’œil du dragon », réunissant artistes chinois et hongkongais en 2014. Au Centre Pompidou, Adrian Cheng a contribué à une donation en 2015 de cinq œuvres d’artistes contemporains chinois dont Liu Wei et Xu Zhen.

Partout, des nouveaux musées
Si on comptait une cinquantaine de musées pendant la Révolution culturelle, il y en a aujourd’hui plus de quatre mille en Chine, dont plus de cinq cents privés. « Les milliardaires chinois, à l’instar des Américains et des Européens du siècle dernier (Rockefeller, Getty, Guggenheim, Carnegie, Henry Tate ou Émile Guimet), construisent des architectures fabuleuses, qui deviennent parfois le cœur de villes nouvelles », précise Jean-Marc Decrop. Cela peut s’inscrire dans le cadre d’accords avec les municipalités, en contrepartie de permis de construire et de concessions diverses… On voit du même coup émerger des architectes spécialisés comme Ma Yansong et son cabinet MAD, travaillant avec des bureaux d’ingénierie reconnus comme Lord Culture qui a déjà collaboré avec le Centre Pompidou, la Tate, et l’île de musées de West Kowloon Cultural District à Hong Kong. À Pékin, le bureau Perfect Crossovers créé par Jérôme Sans, fondateur du Palais de Tokyo et ancien directeur de l’UCCA, favorise l’éclosion de projets entre l’Europe et la Chine.

Parmi les grands musées privés figure le Sifang Museum à Nankin fondé par Lu Xun et son père, promoteurs immobiliers. Dans un parc de 45 hectares, ils invitent des architectes internationaux à réaliser des bâtiments de 10 000 à 50 000 m2. Le musée construit sur pilotis a consacré son exposition inaugurale au chinois Xu Zhen et au dano-vietnamien Danh Vo dont les sculptures We The People sont constituées de morceaux en cuivre de la statue de la Liberté à l’échelle réelle, martelés dans des ateliers chinois. Le Yinchuan MoCA, à l’intérieur de l’immense Yellow River Arts Center de Yinchuan, appartient à la Ningxia Minsheng Culture and the Arts Foundation, filiale du promoteur immobilier éponyme. Le complexe réunit un musée de 15 000 m2, un parc de sculptures réalisé avec la Cass Sculpture Foundation de Grande-Bretagne, un village d’artistes… À Shanghai, trois établissements en bordure de rivière, à l’initiative de collectionneurs, modifient le paysage culturel de la ville. Le Long Museum de 33 000 m2 érigé dans un bâtiment industriel abrite les collections chinoises du couple de milliardaires Liu Yiqian et Wang Wei qui a fait fortune dans la finance et l’immobilier. Le Yuz Museum présente, lui, dans un hangar d’avions de 9 000 m2, les pièces contemporaines chinoises et occidentales de l’Indonésien Budi Tek, marié à une Shanghaienne : Huang Yong Ping, Zhan Huan ou Chen Zhen cohabitent avec Adel Abessemed, Maurizio Cattelan et Yoshitomo Nara. Enfin, le Oil Tank Museum investit l’ex-aéroport domestique de Shanghai pour exposer les œuvres du propriétaire de night-clubs Qiao Zhibing qui mêle de jeunes Chinois à Damien Hirst, Antony Gormley ou Olafur Eliasson.

« De nouveaux talents émergent, encore peu connus en Europe mais déjà très recherchés par les collectionneurs chinois qui font un sport national de dénicher ces pépites : outre Xu Qu, il y a le peintre Wang GuangLe, le sculpteur Wang Yuyang, les vidéastes Ma Qiusha et Li Ming, l’ex-assistant de Ai Weiwei l’artiste Zhao Zhao ou encore Zhang Zhenyu qui fait des tableaux poétiques à base de poussières de Pékin… », remarque Jean-Marc Decrop. Une génération qui se méfie du marché et contrôle sa production : du coup, cette création est vite absorbée par les acheteurs asiatiques et on ne peut la voir en Europe que dans les biennales…

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°690 du 1 mai 2016, avec le titre suivant : Collectionneurs chinois - La nouvelle donne

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