La mue du Musée de Pont-Aven

Par Virginie Duchesne · L'ŒIL

Le 23 mars 2016 - 1470 mots

Après quatre années de fermeture, le musée consacré aux peintres de l’école de Pont-Aven a été rénové et modernisé. Il double sa surface d’expos et le nombre d’œuvres présentées, offrant ainsi un écrin digne des artistes qui sont venus peindre en Bretagne, parmi lesquels Gauguin, Bernard et Sérusier.

Pont-Aven, c’est un petit village du Finistère, situé sur la côte sud de la Bretagne entre Concarneau et Quimperlé. En 1800, il comptait sept cents habitants et était considéré comme le plus pauvre de France. Mais, au cours du XIXe siècle, la venue de nouveaux touristes, pinceaux et chevalet sous le bras, change à jamais l’histoire de ce paisible bourg de meuniers et de pêcheurs. En 1864, le jeune peintre américain Henry Bacon ouvre la marche en incitant ses amis à venir y séjourner. Progressivement, Pont-Aven devient le point de rassemblement d’une colonie d’artistes américains puis français, attirés par ses paysages et ses coutumes pittoresques intactes, fuyant l’académisme parisien. Ses habitants ne s’y trompent pas et accueillent cette manne en ouvrant auberges, hôtels et ateliers pour ces peintres. Paul Gauguin s’installe à la pension Gloanec lors de ses nombreux séjours à partir de l’été 1886. Les Américains ont pris quant à eux leur quartier à l’hôtel Julia, situé sur la Grande Place, du nom de la nouvelle propriétaire, Julia Guillou, qui a un sens aiguisé des affaires.

Julia Guillou n’hésite pas à investir dans un second établissement avec vue sur mer, dans un village voisin, à Port Manec’h, et à faire construire en 1881 une grande annexe à son hôtel, qui devient le plus haut bâtiment du village, comprenant des ateliers avec de belles verrières pour attirer les artistes. C’est précisément dans cette annexe que les services municipaux s’installent après la Seconde Guerre mondiale, puisqu’y est créé, le 26 juin 1985, le premier musée consacré à l’histoire des peintres de Pont-Aven, constituant petit à petit sa collection qui compte aujourd’hui 4 500 œuvres.

La Renaissance du musée
Quand Estelle Guille des Buttes-Fresneau prend ses fonctions en tant que conservatrice en chef du musée en 2006, « le musée installé dans l’ancien bureau de poste était devenu trop petit pour le nombre de visiteurs (qui pouvait atteindre 100 000 visiteurs lors d’une exposition sur Paul Gauguin), l’éclairage était obsolète, il n’y avait ni salle pédagogique, ni librairie ». En 2008, un projet de rénovation est soumis au conseil municipal, qui décide de maintenir le musée au cœur de la ville et non d’en construire un nouveau, qui serait excentré. Un nouveau souffle est donné à ce projet en 2012, lorsque le musée municipal devient communautaire, attaché à Concarneau Cornouaille Communauté qui comprend neuf communes.
La même année, c’est l’agence d’architecture L’Atelier de l’île, auteur de la rénovation du pavillon Amont au Musée d’Orsay et de la réhabilitation du Musée Rodin, qui est choisie pour transformer le Musée de Pont-Aven. Et le résultat est spectaculaire. Le nouvel établissement investit l’ensemble de l’ancienne annexe de l’hôtel Julia, dont les verrières sont rénovées, ainsi qu’une aile moderne construite en retour sur un jardin, à l’arrière du bâtiment. Chacun des cinq niveaux a désormais une fonction clairement identifiée. Le rez-de-chaussée accueille une salle pédagogique, des expositions-dossiers, un centre de ressources et une librairie-boutique. La salle Julia au premier étage, l’ancienne salle à manger de l’hôtel qui a accueilli des hôtes illustres tel le docteur Barnes, reste dans le nouveau musée un espace de réception pour les conférences et les concerts, éclairé par des lustres dessinés par la designer Matali Crasset. Aux deuxième et troisième étages se dévoilent respectivement les expositions temporaires et la collection permanente. Le parcours de celles-ci respecte l’idée de l’hôtel et se présente comme une visite de chambre en chambre. Il s’ouvre sur l’histoire de ce village du Finistère qui a attiré les peintres en nombre. Un cabinet est évidemment entièrement consacré à la figure de Paul Gauguin. Puis il se poursuit sur les fondateurs de l’école de Pont-Aven. Actifs entre 1888 et 1894, ils prônent une vision subjective, rendue par des aplats de couleurs pures, délimitées par des cernes noirs et l’abandon de la perspective. Enfin, une partie est dédiée à la vogue du japonisme dont les estampes vont largement influencer ces artistes.

Un phare au cœur de la ville
L’entrée du musée est probablement le point d’orgue du chantier : vitré et donc ouvert sur la ville, il s’impose au cœur de Pont-Aven, sur la place de l’hôtel de ville, comme un signal fort, à la hauteur de cette « cité des peintres ». L’ensemble a représenté un investissement de huit millions d’euros financé par l’État (majoritairement), le conseil régional de Bretagne, le conseil départemental du Finistère, Concarneau Cornouailles Communauté et des partenaires privés. En outre, un appel aux dons de la Fondation du patrimoine a permis la restauration de la façade de l’annexe de cet hôtel historique.

Le Musée de Pont-Aven compte désormais 2 000 m2, doublant ainsi sa surface d’exposition, et présente deux cents œuvres, deux fois plus qu’auparavant. Pour son ouverture le 26 mars, il accueille l’exposition « Les Rouart, de l’impressionnisme au réalisme magique », jusqu’au 18 septembre. Puis une présentation des photographies du chantier du musée prises par Dominique Leroux permettra de revenir sur ces huit années de changement, concluant l’année 2016. Cent mille visiteurs annuels sont attendus sur les trois prochaines années. Un nombre qui évolue au gré de la météo bretonne qui, elle, sera toujours changeante.

Gauguin à Pont-Aven, le livre
L’ouvrage s’intitule Paul Gauguin et l’école de Pont-Aven, comme l’on nomme traditionnellement depuis la fin du XIXe siècle la colonie de peintres, dont leur plus célèbre représentant, qui s’établirent dans ce petit village du Finistère. Or, il tend à démontrer que ce fut moins une école, avec son maître et ses élèves, qu’un groupe hétéroclite d’artistes américains, anglais et français aux pratiques esthétiques diverses, qui peignaient ensemble, dans une influence mutuelle ou une indifférence totale. André Cariou, ancien directeur du Musée des beaux-arts de Quimper, fin connaisseur du sujet, concentre son analyse détaillée autour du personnage de Paul Gauguin, qui fit cinq séjours dans la région à partir de 1886, mais s’attache également à décrire tout un contexte historique, avec le rejet de l’académisme et le succès des « bretonneries », et l’importance d’un autre village, le Pouldu. Ses propos sont intelligemment illustrés par les œuvres et complétés d’une chronologie complète, de plans et de photographies d’archives. Un outil précieux pour comprendre une période courte (1866-1894), complexe mais déterminante pour l’art moderne.
André Cariou, Gauguin et l’école de Pont-Aven, Hazan, 300 p., 59 €. 

Gauguin, Les Misères humaines, 1889.
Le Musée de Pont-Aven a poursuivi sa politique d’acquisition durant les travaux de rénovation. Vingt-trois œuvres sont ainsi entrées dans les collections par dons ou acquisitions. La zincogravure intitulée Les Misères humaines par Paul Gauguin a été achetée par les Amis du musée au Musée d’art d’Indianapolis, aux États-Unis. Elle fait partie de la « suite Volpini », du nom du propriétaire du Café des arts où les peintres du groupe impressionniste et synthésiste, exclus de l’Exposition universelle de 1889, firent un accrochage. Paul Gauguin y exposa onze zincographies que les Amis du musée tentent aujourd’hui de réunir.

Émile Bernard, Madeleine au Bois d’amour, 1888.
Le Bois d’amour est un espace boisé au nord du village de Pont-Aven qui inspira en 1888 à Paul Sérusier le Talisman, l’Aven au Bois d’amour, sur les conseils de Paul Gauguin, manifeste de la couleur pure, posée en aplat, loin de tout réalisme, qui devient une œuvre totémique pour les Nabis. La même année, Émile Bernard peint sa sœur Madeleine allongée dans ce même bois. Pour la première fois, La Madeleine au Bois d’amour, déposée par le Musée d’Orsay pour une durée de trois ans, est réunie avec l’étude de cette toile conservée au Musée de Pont-Aven.

Maurice Denis, Maternité au Pouldu, 1899.
Il s’agit de la dernière acquisition en date du Musée de Pont-Aven, réalisée en 2016. Le chef de file des Nabis passe l’été 1899 à la pension Portier au Pouldu, un village proche de Pont-Aven, également fréquenté par les peintres. Il peint sa femme Marthe présentant l’enfant Bernadette à sa sœur Eva, derrière elle. En 1904, l’artiste revient à Pont-Aven et achète quatre toiles de Gauguin et de Bernard laissées par eux à la pension Gloanec.

Le jardin selon Charles Filiger.
Au cœur du musée, les architectes du projet de rénovation, L’Atelier de l’île, ont imaginé un jardin pentu, prolongeant visuellement l’espace d’accueil. Vu des étages, il dessine en réalité un paysage inspiré du tableau Paysage rocheux, le Pouldu de Charles Filiger, qui séjourna dans ce village avec Paul Gauguin et Meyer de Haan, au début des années 1890. Les aplats de couleurs sont réalisés grâce à différentes essences bretonnes (bruyères, ajoncs, graminées…) divisées par des lignes d’acier Corten pour évoquer les cernes utilisées par l’artiste.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°689 du 1 avril 2016, avec le titre suivant : La mue du Musée de Pont-Aven

Tous les articles dans Patrimoine

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque