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Le jour où… James Pradier a dévoilé Satyre et Bacchante

Par Pierre Wat · L'ŒIL

Le 21 février 2016 - 504 mots

Monsieur Pradier présente aujourd’hui au public parisien sa dernière sculpture, Satyre et Bacchante.

On ose à peine utiliser le mot sculpture, qui renvoie à l’art le plus noble, pour décrire cette bacchanale moderne qui offusque les mœurs autant que la vue. Si le jury du Salon, sous couvert de libéralisme, a voulu s’offrir un succès de scandale, il importe que notre journal éclaire ses lecteurs sur ce qui se cache derrière ce soi-disant culte de l’Antiquité ! Car, disons-le clairement, c’est l’obscénité la plus crue que Pradier nous jette au visage, sous prétexte de célébrer Dionysos et ses œuvres. Il est à craindre qu’à force de s’inspirer du dieu du vin et de l’extase, l’auteur de cette scène révoltante ait succombé aux charmes délétères de quelque boisson entêtante…

C’est donc un groupe en marbre qui se tient là, figurant une bacchante s’abandonnant, consentante, dans les bras d’un satyre barbu. Le sujet est aussi vieux que l’Antique, mais c’est le traitement qui est ici le problème. Car tout, dans cette sculpture, sent son prétexte pour se livrer au dévoilement indécent d’une intimité. L’œuvre est en marbre, mais il se dit que le corps de la femme aurait d’abord été moulé d’après nature. Le modèle en serait une actrice, Juliette Drouet, la maîtresse du sculpteur, dont les traits se cachent à n’en point douter sous ceux du satyre. C’est donc un vrai corps, bien loin de l’idéal grec, qui est ainsi exhibé, cambré, tête renversée, buste offert. Et nous ne dirons rien de l’expression. La pose, argumenteront certains, est classique, mais cette chair, mais ces plis, mais cette rencontre ignoble du dos de la femme et de la cuisse velue du satyre ! On ne peut sans frémir regarder ce pied de femme côtoyer ce sabot fendu. Il paraît que nous sommes au Salon mais peut-être les organisateurs, en présentant ce groupe dans une petite pièce à part, ont-ils voulu faire écho à d’autres lieux clos où ça n’est pas le commerce de l’art que l’on pratique. Nous ignorons la destination future de cette sculpture, mais il est évident qu’elle ne saurait trouver sa place dans une institution pour jeunes filles. Le plus horrifiant, dans tout cela, c’est la taille de l’œuvre : grandeur nature ! En effet, tout ceci sent terriblement la nature, mais pour la grandeur, c’est une autre affaire. Libre à qui le veut de sculpter les amours d’un sculpteur et d’une courtisane, mais cet art d’alcôve mérite un format allant de pair avec la petitesse de son ambition. Quand on pense que la critique, trop souvent aveugle, se déchire ces jours-ci afin de savoir qui de Paul Delaroche avec sa Jane Grey ou d’Ingres et son Martyre de saint Symphorien incarne l’avenir de la peinture. Il est temps de se réveiller avant que Pradier ne nous fasse un futur à l’image de ses fantaisies personnelles. Face à un tel scandale, nous en appelons au gouvernement afin qu’il refuse d’acheter l’œuvre, rappelant ainsi à Messieurs les artistes les limites à ne pas dépasser.

« Bacchanales modernes ! Le nu, l’ivresse et la danse dans l’art français du XIXe siècle »

Du 12 février au 23 mai 2016. Galerie des beaux-arts de Bordeaux (33). Commissaires : Sophie Barthélémy, Philippe Costamagna, Sandra Buratti-Hasan et Sara Vitacca. www.musba-bordeaux.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°688 du 1 mars 2016, avec le titre suivant : Le jour où… James Pradier a dévoilé Satyre et Bacchante

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