Vincent Mahé le cerne qui discerne

Par Gérald Guerlais · L'ŒIL

Le 21 février 2016 - 535 mots

Dessin - Simplifier c’est éliminer le superflu pour laisser parler l’indispensable, nous dit le peintre Hans Hofmann.

Un modus operandi qui semble dicter la démarche de Vincent Mahé, fort d’un style affirmé qui ne souffre aucune médiocrité : collision séduisante du peintre Valerio Adami et du dessinateur Floc’h. Surtout, un digne héritier de Chris Ware. Sous nos yeux s’épanouissent des aplats et des formes de couleurs acidulées cernées par un contour noir égal, hérité de la ligne claire. Mais la comparaison, strictement esthétique, s’arrête là tant Mahé pousse ce genre daté dans un niveau de sophistication presque inégalé – sinon parfois par ses compères : Tom Haugomat et Bruno Mangyoku –, sans nuire à la lisibilité ni dresser des mondes cliniques et froids. Une ligne claire réinventée par le souci opiniâtre de dire le maximum avec le minimum et qui s’efface souvent au profit des formes. De cette exigence disciplinaire résultent des inventions graphiques dans la représentation des humains. Les voilà à la limite du signe, par quelques traits et masses informatives devenus des humains génériques, sans nullement perdre de leur humanité. Des individus qui, révélés dans des mises en scène taillées au cordeau, servent toujours un propos profond, voire grave.

Seul systématisme, presque une signature : Mahé est partout où l’élégance des silhouettes le dispute à celle de l’architecture. Côté couleur, l’exigence demeure avec une manipulation des rapports de forces chromiques quasi scientifique. Preuve à l’appui, l’album 750 Years in Paris (Nobrow Ltd) où les combinaisons complémentaires de bleu et d’orange sidèrent la rétine par le raffinement de leur déclinaison. Un bijou éditorial qui n’a pas échappé à l’élitiste librairie du MoMA qui l’affiche fièrement en vitrine. Aucun étonnement à ce que ce talent vif, formé au CFT des Gobelins au début des années 2000, soit donc ultra sollicité par les directions artistiques les plus exigeantes de la presse mondiale et des agences de publicité avides de regard moderne, jamais repues de ses compositions riches et élégantes. Louis Vuitton, l’Auditorium de Lyon, la société du Grand Paris mais aussi les magazines Lire, Télérama ou le Wall Street Journal ne s’y trompent pas et plébiscitent ses visions aussi raffinées que pertinentes par leurs idées. Car Mahé ne se contente pas de son excellent niveau de dessin. Un niveau sans cesse questionné par l’exercice assidu de l’observation chirurgicale dans des carnets Moleskine comblés. Mahé sert un propos fort avec une virtuosité de mise en scène digne de Norman Rockwell. À chacune de ses images, hormis celles à caractère institutionnel ou promotionnel, on devine ce qui se passait avant et ce qui se passera après. Magie de l’instant saisi. Intelligence visuelle. Une composition imparable. L’équivalence visuelle d’une note qui sonne juste. Une tonalité dépourvue de morale qui s’arrête juste avant le cynisme (voir sa série des Sept Péchés capitaux) et qui accompagne impeccablement les sujets politiques les plus délicats proposés par des revues comme la revue XXI ou des solutions constructives comme l’ouvrage écologique Demain, adapté du film éponyme. Les plus grands illustrateurs sont trop souvent associés à la littérature classique à laquelle ils sont priés de faire allégeance. Mahé, si vous en doutiez, prouve déjà qu’une image vaut dix mille mots. Un talent à suivre absolument.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°688 du 1 mars 2016, avec le titre suivant : Vincent Mahé le cerne qui discerne

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