Le dessin à l’ère post-digitale

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 19 février 2016 - 540 mots

Main numérique - Mobilisant peu de moyens (un crayon suffit), le dessin est sans doute, parmi les pratiques artistiques, la plus élémentaire et la plus primitive qui soit – celle où sont contenues en germe toutes les autres.

En tant que telle, c’est aussi a priori la moins tributaire des nouvelles technologies et de leur haut degré de sophistication. Est-elle pour autant étrangère à la révolution numérique ? Au contraire, répond Klaus Speidel, critique d’art en pleine ascension (il a obtenu en 2015 le prix AICA de la critique d’art) et commissaire de l’exposition « Drawing after Digital » à la Galerie XPO à partir du 17 mars. Il y propose un panorama aussi exhaustif que possible des champs ouverts par le numérique au dessin – qu’il s’agisse d’analyser l’influence des nouvelles technologies sur les pratiques artistiques, ou d’envisager la manière dont elles colorent le regard du spectateur, y compris s’agissant de dessins dont l’élaboration ne doit rien aux ordinateurs. Adoptant une vision à la fois perspective et prospective, l’exposition suggère ainsi que le numérique pourrait affecter non seulement les techniques du dessin (chez Manfred Mohr, dont les œuvres se font par algorithme depuis les années 1970, ou chez Rita Vitorelli), mais aussi ses motifs (Julien Prévieux, Stefanie Reling), ses sources d’inspiration (Vincent Broquaire) et sa réception (notamment chez Hanne Darboven ou Sol LeWitt, dont les dessins « pré-digitaux » ne se regardent plus de la même façon à l’ère post-digitale). « En dehors du tour d’horizon que l’exposition propose – et qui ne se limite pas à l’art numérique conceptuel et néo-conceptuel –, il s’agit de tester l’hypothèse d’un « effet numérique », explique Klaus Speidel. Celui-ci devrait apparaître d’autant plus clairement dans le dessin qu’il s’agit d’un medium archaïque où la fracture apparaît encore plus clairement que dans la peinture. » Perceptible jusque dans les dessins presque potaches, réalisés au stylo-bille, d’un Claude Closky ( Un centimètre vu de près , Dix Tentatives de tracer un trait noir au milieu de la page ), cet effet numérique joue évidemment à plein dans les œuvres où l’usage de technologies récentes refait entièrement la relation de l’artiste au geste et à l’outil. Parmi ces techniques, l’oculométrie, ou eye-tracking qui dissout l’interaction « classique » entre l’œil et la main en faisant du regard un outil d’exécution (on dessine alors, littéralement, avec les yeux). Faits de  fixations, de saccades et de balayages, les dessins de Jochem Hendricks présentés à la Galerie XPO sont emblématiques du procédé, dont l’intérêt est de mettre à nu les mécanismes de la vision.

Rue de Nazareth, sont également présentées les œuvres que Gregory Chatonsky a fait exécuter en 2015 par un réseau neuronal artificiel – testant ainsi les capacités de la machine à dessiner comme l’artiste et à en imiter le style. Enfin, ce découplage entre la conception et l’exécution, entre l’œil et l’outil, est au cœur des Seed Drawings de Clément Valla – soit des dessins réalisés par les petites mains sous-payées de Mechanical Turk, l’application de crowdsourcing d’Amazon. Ici, l’enjeu esthétique se double d’un questionnement quant aux implications sociales et politiques du numérique – preuve que le dessin, pas plus que d’autres champs esthétiques, ne peut tout à fait éluder une critique de l’économie post-digitale…

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°688 du 1 mars 2016, avec le titre suivant : Le dessin à l’ère post-digitale

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