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Des musées plein les cartons

Par Virginie Duchesne · L'ŒIL

Le 20 janvier 2016 - 2013 mots

En Belgique, les ouvertures et les rénovations de musées se poursuivent, particulièrement en Wallonie, malgré la baisse des budgets accordés par l’État fédéral. Des initiatives régionales et privées résistent à l’ambiance morose et misent sur l’art pour entretenir le capital culture et l’attractivité touristique du plat pays.

En février 2011, les Bruxellois assistaient impuissants à la mort du Musée d’art moderne de leur ville, ainsi qu’était baptisé ce département des Musées royaux des beaux-arts de Belgique. Le séisme fut profond au cœur de la capitale européenne, considérée depuis quelques années comme un « cluster » de l’art contemporain, notamment avec l’arrivée d’artistes et de nombreuses galeries venues de Paris, Londres, Gand et Anvers. Depuis 2008, Bruxelles compte en effet une soixantaine d’ouvertures d’enseignes, sans oublier la montée en puissance de sa foire d’art contemporain, Art Brussels, qui s’installe en avril 2016 à Tour & Taxis, là où se déroule en janvier la Brafa, prestigieuse foire d’art et d’antiquités. « Bruxelles est une place importante pour l’art contemporain, reconnaît Karine Lalieux, échevine de la Culture de la Ville de Bruxelles. Il y a donc une volonté de la ville, en retard par rapport à cela, de développer un Musée d’art contemporain, sans doute par un partenariat public/privé. Le bâtiment a été acheté en ce sens par la Région bruxelloise, de l’autre côté du canal, une importante zone de développement de la ville. » Le 29 octobre, un acte d’achat a été signé pour acquérir le garage Citroën, après un accord avec le groupe PSA, situé sur la commune de Molenbeek-Saint-Jean. Mais ce musée tant attendu, prévu à l’horizon 2019, semble pour le moment faire face à un grand nombre de blocages politiques, en premier lieu au sujet des collections qui y seront présentées. En effet, les œuvres des Musées royaux des beaux-arts de Belgique appartiennent à l’État fédéral, lequel a rappelé que sa collection était « une et indivisible ». Par conséquent, il serait impossible de créer un nouvel établissement.

L’art contemporain se cherche à Bruxelles
En attendant, ce sont donc des initiatives privées qui rendent visible l’art actuel dans la ville. Des collectionneurs privés ont ouvert les portes de leur collection, comme la Vanhaerents Art Collection en 2007 et le CAB en 2012, près des étangs d’Ixelles. Plus récemment, en avril 2015, Valérie Bach, la galeriste française installée à Bruxelles depuis plusieurs années, a dévoilé au public son nouvel espace dans l’ancienne Patinoire royale, classée en 1995. C’est également à l’initiative d’une galerie et d’entrepreneurs culturels que s’ouvrira le 24 mars prochain le Mima, le premier lieu dédié aux cultures urbaines, du street art jusqu’au surf et au tatouage. Imaginé par Alice van den Abeele et Raphaël Cruyt, le duo de la Galerie A.L.I.C.E., et Michel et Florence de Launoit, le Millenium Iconoclast Museum of Art (MIMA) « veut réunir toutes les cultures transversales, urbaines et extrêmes, ainsi que les artistes qui sont nés avec l’outil Internet qui leur a permis de se faire connaître de manière internationale, explique Michel de Launoit. Quand je me promenais dans les capitales, je me rendais compte que ce type d’art était souvent accueilli dans des galeries ou des lieux éphémères. Je trouvais que le sujet était présent sans que cela dépasse cependant le simple phénomène de mode. Il était nécessaire de mener un vrai débat autour de cette culture 2.0. Elle méritait un musée. » Le financement est assuré par des partenaires-fournisseurs et les amis du musée. La collection permanente est quant à elle constituée par des mécènes et des collectionneurs qui prêteront une quarantaine d’œuvres. Est-ce pour pallier un manque institutionnel dans le domaine de l’art contemporain ? « Je ne me suis pas inscrit par rapport aux autres, mais par rapport à mon constat personnel, sans autre analyse du milieu. L’absence d’un musée d’art contemporain à Bruxelles n’a pas eu d’influence sur ma réflexion. » Le MIMA espère accueillir 30 000 visiteurs la première année, puis 55 000 la troisième année. Encore faut-il réussir à faire venir le public jusqu’au lieu choisi, les anciennes brasseries Belle-Vue situées également sur la commune de Molenbeek-Saint-Jean, de l’autre côté de ce canal qui dessine une barrière psychologique dans la ville.

Dynamiser un territoire par la culture
L’heure est à « la décentralisation de la culture qui ne doit pas rester concentrée en centre-ville », rappelle Karine     Lalieux, défendant son programme politique et son budget qui a augmenté de 1,5 % alors que « le niveau fédéral désinvestit massivement dans ses musées et dans la culture ». La Ville a donc participé à hauteur de 400 000 euros à la création de l’Art and Design Atomium Museum dans un autre quartier, lui aussi en pleine mutation urbaine, le Plateau du Heysel, au nord de Bruxelles. Il accueille la collection du Plasticarium, ensemble de mobilier et d’objets de design en plastique emblématiques des années 1960, réunie par le collectionneur Philippe Decelle qui cherchait à la transmettre. Cette volonté de redynamiser un territoire par la culture fleurit partout dans le pays. Ce fut le cas de Mons, Capitale européenne de la culture en 2015, une « marque » dont se félicite le commissaire général de l’événement qui a contribué à « la transformation architecturale, urbaine et muséale » de la ville. Cinq nouveaux musées ont été en effet inaugurés. En dehors d’événements particuliers, ce mouvement de rénovation muséale est manifeste dans plusieurs villes, notamment en Wallonie.

« La culture est un des leviers de redressement d’une ville », constate Pierre-Olivier Rollin, à la tête du BPS22 installé depuis treize ans à Charleroi. « C’était au départ la volonté de la Province de Hainaut de créer un musée en 1999. Mais le budget manquait, donc nous avons travaillé d’abord comme centre d’art. » Celui-ci a enfin acquis son titre de musée en septembre 2015, devenant officiellement le Musée d’art de la Province de Hainaut et donc un lieu permanent et identifié par le public et les offices de tourisme et aux horaires d’ouverture étendus. Le bâtiment a été rénové pour l’occasion, offrant plus de possibilités d’accrochage et répondant aux normes d’un musée. L’ancien centre y déploie désormais sa vaste collection qui va de la fin du XIXe siècle au début du XXIe mais n’a pas changé sa programmation en proposant des expositions sur des sujets de société et des invitations aux artistes contemporains. « Charleroi est une ville industrielle, moderne, qui n’a pas un centre-ville historique attractif. Il était donc nécessaire de créer un dynamisme autrement. » Avec l’excellent Musée de la photographie et le Palais des beaux-arts, la ville est désormais dotée d’institutions de renom, dans une Province qui compte déjà le grand Musée d’art contemporain, le fameux MAC’S, créé en 2002.

Même constat à Liège, où l’« on ne peut plus vraiment compter sur la sidérurgie », ironise Jean-Marc Gay, le directeur du Musée Boverie qui rouvrira ses portes en mai 2016. La ville poursuit depuis 2012 une véritable mue urbaine et culturelle par la rénovation de ses équipements et en faisant appel à des grands noms de l’architecture. Après la gare dessinée, par Santiago Calatrava, la Médiacité conçue par Ron Arad, la rénovation de l’Opéra royal de Wallonie et un nouvel écrin pour le théâtre, c’est au tour du Musée des beaux-arts, rebaptisé Boverie, car se situant dans le parc du même nom, de s’installer dans un bâtiment de 1905 entièrement rénové et dont l’extension est signée Rudy Ricciotti. Le nouveau lieu de 5 000 m2 accueillera au premier niveau les collections, qui vont jusqu’à l’art contemporain et la bande dessinée et, à l’étage, des expositions temporaires sur un plateau ouvert de 2 500 m2. L’opération a coûté 23 millions d’euros, pris en charge par la ville, la Fédération Wallonie-Bruxelles et l’Europe.

Pour assurer ses expositions et sa visibilité, le musée s’adjoint des partenaires publics et privés, et non des moindres, comme le Musée du Louvre. Ce partenariat de trois ans « se manifestera chaque année par une exposition que nous monterons avec l’institution parisienne. Elle n’a pas uniquement comme mission de nous prêter des œuvres, mais de nous aider à chercher des partenaires occasionnels dans leur réseau plus vaste que le nôtre pour ces expositions temporaires. » L’exposition d’ouverture aura lieu sur le thème du plein air, « ce moment où les peintres sont sortis de leur atelier pour aller peindre dans la nature », mêlant des œuvres impressionnistes et contemporaines. En septembre prochain, c’est un opérateur culturel privé, Tempora, qui prendra la suite pour monter une exposition autour de la collection du marchand d’art Paul Rosenberg. Jean-Marc Gay évoque également un partenariat avec le Fonds Hélène    et Édouard Leclerc pour la culture à Landerneau vers 2017 pour un projet sur la bande dessinée. « Nous souhaitons proposer des expositions qui peuvent toucher un public nombreux et différent. »

Accueillir des visiteurs toujours plus nombreux
Concentrer les collections pour rationaliser les coûts et capter un public toujours plus large sont les maîtres mots de ces nouveaux lieux. C’est le cas pour le Musée universitaire de Louvain-la-Neuve, rebaptisé Musée-L pour sa réouverture en février 2017. « Il s’agira d’un déploiement des collections d’archéologie et d’histoire de l’art, augmentées des collections scientifiques qui n’avaient jamais été présentées, en vue d’une visibilité et d’une fréquentation plus importantes », explique sa directrice Anne Querinjean. Trop à l’étroit, le musée s’installera dans un an dans le bâtiment postmoderne de l’architecte André Jacqmain, en béton brut de décoffrage, tout juste rénové. Il accueillera donc les collections du musée des beaux-arts additionnées de celles de l’université de Louvain-la-Neuve qui réunit des spécimens d’histoire naturelle, des objets ethnographiques et des machines scientifiques issues de domaines aussi variés que la géographie, les sciences de la vie ou la chimie. « Nous avons réfléchi à cinq thématiques qui embrassent toutes ces pièces et ces œuvres et qui parlent de l’être humain en général. » Ainsi « S’étonner » sera conçu comme un cabinet de curiosités réunissant art et science. « Se questionner » fera la part belle aux métiers de la recherche, ce qui permettra une incursion dans l’histoire de l’université. « Transmettre » s’intéressera à l’histoire de l’écriture et du calcul. Si la rénovation a trouvé son financement (60 % de mécénat et 40 % d’institutionnel), une campagne de levée de fonds est en cours pour la réalisation de la scénographie. 78 % de 2,3 millions ont déjà été collectés. « Plus aucun musée ne peut faire l’économie de cette recherche de fonds, c’est indispensable vu la situation des subventions publiques. » Le nouveau Musée-L prévoit 30 000 visiteurs par an.

Il faut être encore plus ingénieux quand il s’agit de parler au public de préhistoire et d’archéologie. À l’instar des sites français comme la Caverne du Pont-d’Arc, en Ardèche, le Préhistosite de Ramioul à Flémalle, dans la Province de Liège, se renouvelle entièrement pour devenir le Préhistomuseum et ouvrir le 7 février sous la forme d’une « attraction culturelle », selon son directeur Fernand Collin. « Il est utile d’inviter les personnes qui n’aiment pas les musées à venir grâce à une offre adaptée et leur permettre, à travers les douze expositions que nous proposons en intérieur et en extérieur, d’avoir une expérience culturelle. » Dès l’origine, le projet est soutenu par le Commissariat général du tourisme du service public de Wallonie et par des fonds européens, ce qui explique sa vocation avant tout touristique, portée sur la médiation, et renforcé pour atteindre 100 000 visiteurs en 2020. Sur un site de 30 hectares, le Préhistomuseum propose, par exemple, un labyrinthe sur le thème de l’évolution : en y entrant singe, il faut en ressortir être humain. L’archéorestaurant mitonnera des plats faits à partir d’ingrédients que l’on trouvait à la préhistoire. Le musée mise sur l’interactif et le contemporain pour attirer l’attention des publics. Ainsi, les collections seront présentées dans une perspective tournée vers l’avenir de l’humanité ; les acteurs de l’archéologie, de l’opérateur de fouilles au restaurateur, se présenteront sur des tablettes tactiles et des artistes contemporains seront invités pour des expositions temporaires. Entre préhistoire et art contemporain, la boucle semble bouclée en Belgique.

Adam, Art and Design Atomium Museum
Ouvert depuis le 11 décembre 2015.
Place de Belgique, Bruxelles. Ouvert du lundi au vendredi de 10 h à 17 h.
Tarifs : 10 et 8 €.
www.adamuseum.be

Mima, le Millenium Iconoclast Museum of Art
Ouverture le 24 mars 2016. 33, quai du Hainaut, à Bruxelles.
mimamuseum.eu

La Boverie.
Exposition inaugurale « En plein air », en partenariat avec le Musée du Louvre, à partir du 5 mai 2016. Parc de la Boverie, Liège.
www.liege.be/culture/musees/boverie-beaux-arts-expos-liege

BPS22, Musée d’art de la Province deHainaut
22, boulevard Solvay, Charleroi.
Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 19 h.
Tarifs : 6 et 3 €.
www.bps22.be

Musée L. Musée universitaire de Louvain.
Ouverture prévue en février 2017. Louvain-la-Neuve.
www.museel.be/fr

Préhistomuseum.
Ouverture le 2 février 2016.
www.ramioul.org

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°687 du 1 février 2016, avec le titre suivant : Des musées plein les cartons

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