La « persona » du robot Berenson

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 15 janvier 2016 - 525 mots

Exposition Peuplé d’objets « intelligents », de robots et de prothèses, notre monde voit peu à peu s’effacer les frontières qui séparaient jusqu’alors en Occident l’humain et le non-humain.

Nous baignons désormais dans une zone trouble, où certains artefacts se voient parés de qualités ordinairement tenues pour propres à l’homme : intelligence, capacité à interagir, à apprendre, à se comporter de manière autonome.

Entre l’inanimé et nous se crée ainsi une intimité nouvelle – signe que les objets pourraient avoir sinon une anima, du moins une persona, quelque chose comme un « semblant de ». L’exploration de cette zone trouble constitue le cœur de l’exposition « Persona, étrangement humain » au Musée du quai Branly. Inspirée notamment des travaux de l’anthropologue Philippe Descola, commissaire en 2010 de « La Fabrique des images », celle-ci suggère que notre « déstabilisation ontologique » face aux machines n’est pas propre à l’âge contemporain. En réunissant statuettes africaines, masques d’Océanie, instruments de divination, œuvres d’art moderne ou cinétique et artefacts technologiques, l’événement désigne au contraire notre propension à affecter une intentionnalité à certains objets comme un phénomène anthropologique universel. Il se pourrait même que d’autres cultures – animistes notamment – entretiennent avec le monde inanimé un rapport bien plus riche que nous autres « naturalistes », maintenus depuis l’âge classique dans une séparation stricte entre humain et non-humain. « Nous aurions beaucoup à gagner à traiter certains objets comme des personnes », plaide ainsi Thierry Dufrêne, historien de l’art et co-concepteur de l’exposition.

Cette reconfiguration des frontières ontologiques entre hommes et artefacts, « Persona, étrangement humain » cherche moins à l’expliciter qu’à en proposer l’expérience. Pour ce faire, l’exposition convoque d’abord la « Vallée de l’étrange » du roboticien Masahiro Mori, et présente des œuvres dont l’hyperréalisme a de quoi susciter le trouble. Surtout, elle convie l’un de ces objets « étrangement humains » à venir déambuler au milieu des visiteurs : le robot Berenson. Imaginé en 2012 dans le cadre du laboratoire ETIS et de l’Université Paris-Diderot par l’anthropologue Denis Vidal (qui cosigne l’exposition avec Emmanuel Grimaud, Anne-Christine Taylor-Descola et Thierry Dufrêne) et le roboticien Philippe Gaussier, cet humanoïde portant chapeau et pardessus a pour mission d’« apprendre » et de modéliser le sens esthétique en enregistrant le comportement des spectateurs, et c’est à ce titre qu’il a déjà arpenté les salles du Quai Branly. Dans le cadre de « Persona », il propose aussi d’éprouver concrètement la complexité des relations qui unissent l’homme aux robots anthropomorphes.

Lors de ses précédentes « sorties », les visiteurs avaient globalement tendance à traiter Berenson en personne et à solliciter ses réactions, et ce alors même qu’ils étaient conscients de sa nature « non humaine ». On peut s’attendre ici au même mélange d’affectivité et de curiosité. Faisant écho aux enjeux soulevés par l’exposition, l’humanoïde du Quai Branly attesterait alors l’émergence
d’un « nouveau pacte anthropomorphique », selon la formule de Denis Vidal. Reste alors à demander, comme le fait la dernière partie de « Persona », « de quoi nous voulons nous entourer » et, parmi toutes ces quasi-personnes qui nous environnent, avec lesquelles nous voulons « faire famille ».

« Persona, étrangement humain »

Du 26 janvier au 13 novembre 2016. Musée du quai Branly, 37, quai Branly, Paris-7e.
Tarifs : 7 et 11 euros.
Commissaires : Emmanuel Grimaud et Anne-Christine Taylor-Descola.
www.quaibranly.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°687 du 1 février 2016, avec le titre suivant : La « persona » du robot Berenson

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