Anselm Kiefer, les couvertures de Der Rhein

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 18 novembre 2015 - 330 mots

COUVERTURE - Avec peu d’expédients, Anselm Kiefer parvient à restituer l’énigme du Rhin, ce gigantesque ombilic qui, reliant des contrées éloignées, magnétisa des générations d’artistes allemands. Du reste, où est le fleuve dans cette composition ? Se cache-t-il derrière l’arbre qui fait écran ? Se confond-il avec le ciel luminescent ? Est-ce lui dont les méandres veinent la partie inférieure, à droite ? La gravure n’interdit pas l’entre-deux : entre le blanc et le noir s’intercalent des centaines de nuances, des dizaines de gris, des effacements, des intensités, des silences, des doutes, des croches et des blanches. Ici, l’accident n’est pas gommé, il est accueilli. La trace fait sens, la traînée aussi. La cicatrice et le stigmate sont des alliés, pas des adversaires. Tout ce qui accroche et agrippe est révéré. Kiefer ne joue pas à l’illusionniste, il adopte ce qui appartient en propre à la gravure, ainsi que le firent, au seuil du siècle dernier, ses prestigieux aînés regroupés sous la bannière de « Die Brücke ».

4e de couverture Au Rhin, ce territoire liquide, Kiefer consacra de nombreuses œuvres, parfois regroupées sous la forme d’un livre. Il étudia le fleuve non pour en restituer les sinuosités ou l’immensité, mais pour en dire la poésie muette, mystérieuse. Ici, on devine les deux rives et, entre elles, une eau scintillante, un peu tourmentée, zébrée de splendides irisations. Le tout en noir et blanc. Le noir contre le blanc. Monde duel, mode binaire. Au premier plan, les feuilles des plantes ployées dessinent des virgules ; dans le ciel, des stries noires désignent les mouvements atmosphériques. Là encore, Kiefer laisse apparents les impuretés et les accrocs du support, de telle sorte que le regardeur peut aisément deviner l’outil de l’artiste en train d’épargner la matière, de ménager ce qui, bientôt, prendra forme. Et, au graphite, fluide au milieu de ce continent solide, une signature imparable. Manière d’affirmer que la gravure est bien plus qu’une technique virtuose : une œuvre, à part entière.

« Anselm Kiefer, l’alchimie du livre »
jusqu’au 7 février 2016. Bibliothèque nationale de France. Ouvert du mardi au samedi de 10 h à 19 h et le dimanche de 13 h à 19 h. Tarifs : 9 et 7 €. Commissaire : Marie Minssieux-Chamonard. www.bnf.fr

La tour de babel interprétée par frédéric voisinDe Brueghel l’ancien à François Schuiten
Les artistes sont nombreux à avoir donné leur vision du mythe de Babel, comme l’a rappelé une exposition au Palais des beaux-arts de Lille en 2013. Frédéric Voisin, artiste né en 1957, en a donné à son tour cette année sa version, peuplée des monstres et des dragons qui hantent ses linogravures, montrant ainsi le dynamisme d’une technique encore bien vivante.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°685 du 1 décembre 2015, avec le titre suivant : Anselm Kiefer, les couvertures de Der Rhein

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