La flûte à champagne de Philippe Cazal

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 20 octobre 2015 - 706 mots

« Mon objet fétiche est le verre à champagne, la flûte, plus précisément », lance, sans hésiter, Philippe Cazal. Et de préciser : « Elle figure dans plusieurs de mes œuvres, mais ce n’est pas la seule raison de mon affection pour cet objet. »

L’artiste achète régulièrement des verres dépareillés lors de virées sur les marchés aux puces : il aime boire dans des formes différentes. « La flûte à champagne me renvoie à mon arrivée à Paris en tant qu’étudiant aux Arts Décoratifs. C’était dans les années 1970. Je vivais avec très peu d’argent, je déjeunais au resto U, et, les soirs de vernissages, j’allais d’un cocktail à l’autre où l’on regardait les œuvres, un verre de champagne à la main. Ce contraste m’amusait. Le monde de l’art semblait léger comme les bulles qui dansaient dans nos verres. Du moins en apparence ! » Observateur grinçant, artiste conceptuel multimédia, Philippe Cazal, pour qui l’art et la vie ne font qu’un, croit à la portée critique d’une œuvre, et ce depuis les actions coup de poing menées avec le groupe Untel fondé avec Jean-Paul Albinet et Alain Snyers en 1975. Qu’on ne s’y trompe pas : la flûte à champagne qui retient l’attention de Philippe Cazal est un objet à double détente : « Elle a une forme minimaliste très pure, elle s’ouvre comme une fleur. Elle ressemble à l’arum qui est beau de loin mais toxique et malodorant de près. » Une beauté intranquille : « Aujourd’hui l’art fait tout briller », déclare celui qui a dénoncé, très tôt, la transformation du milieu de l’art en terrain de jeu pour happy few très fortunés, et la transmutation de l’artiste en animateur.

Dans sa série de photographies devenue culte, La Magie du succès, présentée en solo en 1986 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Philipe Cazal jouait déjà avec l’art bling-bling et la notoriété paillette. Il s’y mettait en scène au côté de ravissantes top models tenant une flûte de champagne à la main. Un autre verre rempli de bulles figure au premier plan de cette composition digne d’un reportage de mode pour magazine sur papier glacé. Ou l’image de la réussite sociale de l’artiste comme nouveau graal. Exit la bohème. Un constat fracassant dénoncé avec une ironie cinglante pas toujours bien pris par le milieu de l’art, qui s’est senti visé. Il déclare alors : « Le verre à champagne est l’indispensable accessoire de l’imagerie artistique contemporaine, symbole de luxe, d’instant brillant et d’éphémère. » Le plasticien disposera également cette flûte à l’architecture pure dans plusieurs séries de « modèles sculptures » inspirés du minimalisme et du suprématisme. Placé entre deux solides volumes, cet élément transparent et fragile apporte une perturbation festive dans l’ordonnancement rectiligne d’un art rigoriste. Une manière de réintroduire de l’humain ? : « Cette flûte, dit-il, fait partie de mon histoire personnelle et artistique, mais aussi de l’histoire collective. Tout le monde, riche ou pauvre, a bu du champagne, bon ou mauvais, un jour dans sa vie à l’occasion d’un moment de partage. Mais le même champagne n’a pas le même goût si on le boit dans un gobelet en plastique avec les collègues de bureau ou dans une flûte en verre avec ses amis. »

Justement, cette flûte, qu’est-elle devenue ? : « Elle a été éditée, il y a quelques années, par le centre d’art Le Magasin à Grenoble. Y figure dessus mon logo-signature réalisé, à ma demande, par l’agence parisienne Minium. Deux mille visiteurs ont reçu un bon en échange d’un verre à champagne. Ils croyaient qu’ils étaient invités à venir boire un coup. En fait, ils recevaient une boîte avec le verre ainsi siglé. Trois mille autres verres destinés à la vente étaient packagés par lots de quatre. » Au demeurant, la flûte à champagne vient de refaire son apparition dans la toute dernière série de photographies « Dans l’atelier » que l’artiste a réalisée cette année, et où il se met en scène dans son studio à l’aspect clinique et froid, à l’ordinateur, mais au milieu de modèles nus. On aperçoit l’objet fétiche, dans un coin, un peu en retrait. Il n’est plus en vedette. Mais il reste un point de repère. 

« Untel, L’art d’être touriste »

Du 6 novembre au 2 janvier 2016. Galerie mfc-michèle didier, Paris-3e. www.micheledidier.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°684 du 1 novembre 2015, avec le titre suivant : La flûte à champagne de Philippe Cazal

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