Georges Tony Stoll : marginal, de l’intérieur

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 25 août 2015 - 785 mots

Discret mais bel et bien présent, l’artiste, qui fête ses 60 ans en 2015, expose ce mois-ci ses dernières œuvres à Paris.

Pour les gardiens du Louvre, il est un peu leur solstice. D’été ou d’hiver, cela dépend de l’humeur de ce visiteur qui passe rapidement dans la salle de la Joconde pour aller se planter, sous le regard pénitent d’un saint Jérôme voisin, devant Le Transport du Christ au tombeau du Titien. « La première fois que j’ai vu ce tableau, j’avais 11 ans. J’en ai aujourd’hui soixante et je continue chaque année d’aller voir cette mise au tombeau. Pour moi, elle est l’annonce de la modernité : le visage du Christ dans l’ombre tandis que son corps, somptueux, est en pleine lumière… » Ombre et lumière. Pour Georges Tony Stoll, ce tableau constitue un véritable « repère », comme l’artiste en a tant d’autres dans la tête. Ces repères forment « une liste d’artistes et d’œuvres » qui ont fait de lui le plasticien et l’homme qu’il est devenu. Parmi eux : Rauschenberg, Eva Hesse – « à en pleurer ! » – et Caravage. « Quand j’entre dans une salle où est accroché un Caravage, il m’est d’abord impossible de le regarder. C’est ainsi, il me faut du temps avant de pouvoir admirer La Vierge des palefreniers », raconte l’intéressé. La faute à une mère qui emmène Georges, alors qu’il a 6 ans, aux Offices à Florence et qui, face à La Naissance de Vénus de Botticelli, préfère lui parler de la composition, des anges qui soufflent et de l’apparition du coquillage, plutôt que de la beauté de Vénus… Avant de lâcher plus loin devant le Bacchus du Caravage : « Tu vois comment on est quand on a beaucoup bu ! » « Et puis, raconte l’artiste, ma mère me laisse ! Moi ! Là ! Tout seul ! Devant le Bacchus du Caravage ! À 6 ans ! » Pour la mère, il s’agit alors d’acheter l’éducation bourgeoise de son Georges – il accolera le prénom de Tony plus tard, lorsque Jennifer Flay, sa galeriste, lui apprendra l’existence d’un autre Georges Stoll aux États-Unis, lui aussi artiste. Alors qu’à 6 ans, il s’agit, pour le futur artiste, de prendre conscience que l’art « n’est pas uniquement là pour faire plaisir », que « tout cela veut dire quelque chose », à commencer par l’homosexualité.

Des choses à dire
Depuis lors, GTS croit fermement en l’idée d’expérience. « Je suis sûr que chaque être possède en lui à la fois sa propre histoire, celle de son pays et aussi celle du monde », dit l’artiste. La preuve : « Dans un pays, la France, où 30 % des votants sont prêts à mettre au pouvoir un régime d’extrême droite, il y a quelque chose de la mémoire de notre pays, de l’Occupation, de 1936, d’un certain Georges Boulanger… » C’est pourquoi chaque image de GTS, les corps d’hommes photographiés comme ses peintures abstraites, sous-tend la possibilité d’une réflexion. La possibilité d’un il. Mais il ne s’agit pas d’être militant, et surtout pas de la cause homosexuelle : « Non. Je l’ai été. Je ne le suis plus », dit-il. D’ailleurs, celui-ci admet volontiers que c’est Beuys qui, très loin de Jean Genet, a conforté sa place de « marginal » dans la société. Il s’agit davantage, pour lui, de rester engagé au monde, dans le monde, les deux pieds bien arrimés au sol. « Parce que, je le sais, je le sais », répète inlassablement GTS. Ainsi comprend-on aisément qu’il souffre de ne pas être davantage exposé, lui qui a tant à dire. Comme il souffre aussi de ne pas être publié et reconnu en tant qu’écrivain. « J’ai toujours écrit. Un phénomène familial a fait que l’écriture m’a été interdite. Mais j’écrivais quand même dans mon coin. Dans “le coin”. » À 60 ans, il continue d’écrire et d’envoyer ses manuscrits aux éditeurs, toujours dans son coin…

Alors quand il lui arrive de regretter de n’avoir pas été plus stratège pour la suite de sa carrière – « comme un chef d’entreprise » –, il se rappelle que son histoire est ainsi faite, lui qui a eu la chance de vendre ses premières œuvres alors qu’il était encore étudiant, en 1981, aux beaux-arts de Marseille, où il fut l’élève de Toni Grand, Joël Kermarrec et Marcelin Pleynet. « Beaucoup de chance. » Surtout, il se souvient dès le départ avoir voulu être « ce marginal de l’intérieur » qu’il est devenu, et dont il assume les conséquences. C’est pourquoi l’exposition que lui organise ce mois-ci Jérôme Poggi dans sa galerie située juste sous les fenêtres du Centre Pompidou  – qui possède pas mal d’œuvres de lui mais qui traîne à lui programmer une monographie – résonne, pour le galeriste, comme une petite revanche. D’ailleurs, l’exposition devrait déborder de la galerie, pour recouvrir jusqu’aux fenêtres extérieures… Histoire, peut-être, de rappeler à Beaubourg comme au monde que GTS a encore bien des choses à dire.

« Georges Tony Stoll »
du 10 septembre au 10 octobre. Galerie Jérôme Poggi. Ouvert du mardi au samedi de 11 h à 19 h. galeriepoggi.com

« Sèvres Outdoor 2015 »
jusqu’au 25 octobre 2015. Cité de la céramique, Sèvres (92). www.sevres.fr/sevres-outdoors-2015

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°682 du 1 septembre 2015, avec le titre suivant : Georges Tony Stoll : marginal, de l’intérieur

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