Bande dessinée

Les grands peintres revisités par la BD

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 25 juin 2015 - 902 mots

Si le genre n’est pas nouveau, les albums de bande dessinée consacrés aux grands noms de l’art se multiplient à la demande des lecteurs.

Bonnard/Joann Sfar : Le match
Profitant de l’expo Bonnard à Orsay, le touche-à-tout Joann Sfar s’est penché sur l’univers de ce « Nabi très japonard » pour livrer une BD sur le thème des peintures d’après modèle ; il n’y a pas vraiment d’histoire, hormis l’idée de présenter des femmes nues qui attendent le peintre, en laissant poindre un trouble érotique provoqué par les fameuses baignoires à mosaïques de… « monsieur Bonnard ». On attendait beaucoup de cette rencontre entre un grand peintre et un bédéiste établi, c’est peu dire que l’objet déçoit : via une narration paresseuse associée à un trait tremblé répétitif, Sfar semble s’être fait plaisir en dilettante, sans explorer un sujet pourtant passionnant : le peintre et son modèle. 
Joann Sfar, Je l’appelle monsieur Bonnard, Hazan, 64 p., 15 €.

Malraux, les ombres au tableau
Virginie Greiner et Daphné Collignon signent avec Avant l’heure du tigre une bande dessinée féministe qui brosse le portrait d’une femme libre dans le Paris bohème des Années folles : Clara Goldschmidt. Cette brillante femme de lettres tombe amoureuse d’André Malraux en 1921. Devenu son mari, celui-ci l’entraîne alors dans la jungle khmère. Inspirée par l’autobiographie Nos vingt ans de Clara Malraux, cette BD captivante, au noir et blanc élégant, parvient à évoquer l’esprit aventureux d’un couple d’intellectuels tout en montrant les travers d’un homme appartenant au panthéon culturel : sa misogynie prononcée et son pillage avéré en 1923 d’œuvres d’art d’un temple d’Angkor. 
Virginie Greiner, Daphné Collignon, Avant l’heure du tigre, La Voie Malraux, Glénat, 168 p., 22 €.

Deux Van Gogh pour le prix d’un
Si, au départ, on a quelque difficulté à faire le lien entre le style manga d’Hozumi et l’univers de Van Gogh (l’artiste représenté semble davantage sortir d’Albator que d’un tableau postimpressionniste), le parti pris singulier du mangaka, qui raconte en fusionnant réalité et imagination comment Théo a « fabriqué » l’image du frère « maudit », est l’occasion de revisiter en BD le mythe Van Gogh. Contrairement aux apparences, ce roman graphique, qui n’hésite pas à quitter la vérité historique pour lorgner du côté de l’enquête, est fort bien documenté en ce qui concerne le système marchand de l’art. 
Hozumi, Les Deux Van Gogh, Glénat, 384 p., 10,75 €.

Coup de Typex sur Rembrandt
Dès qu’on l’a entre les mains, la BD Rembrandt signée Typex, avec sa belle typographie à l’ancienne et son papier doré sur tranche, impressionne. Le contenu est-il à la hauteur de son écrin ? Assurément, oui. Cet album épais sur le grand Rembrandt van Rijn (1606-1669) dresse le portrait d’un personnage fantasque, capricieux et attachant en même temps. Jouant à la fois avec les codes habituels du neuvième art et de la biographie, tout en citant ouvertement le langage pictural du maître (le clair-obscur, les couleurs terreuses, etc.), Typex a mis trois ans pour finaliser ce chef-d’œuvre qu’on ne se lasse pas d’ouvrir pour le relire ou simplement pour contempler ses mises en page diversifiées somptueuses.     
Typex, Rembrandt, Casterman, 264 p., 25 €.


Frida Kahlo revient en BD
On se souvient encore du beau roman d’amour de Le Clézio Diego et Frida paru en 1993 et du biopic hollywoodien réussi avec Salma Hayek, Frida, sorti en 2002. Cette fois-ci, l’icône féminine revient en bande dessinée. À l’aide de couleurs saturées et de séquences poétiques, ce roman graphique, croisant habilement art, sexe et politique (Trotski sera un temps hébergé chez la belle Mexicaine), s’avère agréable à lire. En fin d’album, un cahier pédagogique, avec photographies d’époque et biographies de l’artiste et de personnalités de son entourage (Rivera, Breton…), offre au jeune lecteur la possibilité d’en savoir plus sur la légendaire Frida Kahlo. 
Jean-Luc Cornette, Flore Balthazar, Frida Kahlo, Pourquoi voudrais-je des pieds puisque j’ai des ailes pour voler ?, Delcourt/Mirages, 128 p., 16,95 €.

La BD planche sur Les Ménines
Pour approcher ce chef-d’œuvre intemporel de Velázquez, Santiago García et Javier Olivares ont eu l’intelligence de quitter les autoroutes balisées d’un récit chronologique pantouflard pour offrir aux lecteurs un périple kaléidoscopique au sein de la planète peinture. À l’aide d’une narration éclatée et d’un jeu de miroirs labyrinthique ne cessant de faire des renvois aux artistes qui ont inspiré ou ont été influencés par le « peintre des peintres » (de Van Eyck à Dalí via Titien et Picasso), les deux auteurs de cette bande dessinée sophistiquée, aux récits gigognes truffés d’humour, donnent furieusement envie de se rendre au Musée du Prado à Madrid pour revoir en vrai ce tableau célébrissime. 
Santiago García, Javier Olivares, Les Ménines, Futuropolis, 184 p., 25 €.

Une BD noire sur Goya
Parue au sein du trio inaugural (Van Eyck, Toulouse-Lautrec) de la nouvelle collection « Les grands peintres » chez Glénat, Goya se penche sur la fin de vie de cet ancien peintre de la chambre du roi, qui s’était retiré dans la « quinta del sordo » (la ferme du sourd) pour réaliser ses fameuses « peintures noires ». Un septuagénaire acariâtre voit sa maison hantée par des créatures monstrueuses qui semblent jaillir de ses visions hallucinées. Olivier Bleys et Benjamin Bozonnet, en développant un récit mâtinant réalité et fiction, nous font assez bien ressentir le bouillonnement intérieur d’un créateur génial qui, de par sa noirceur, annonce le romantisme. Pour autant, cette BD est graphiquement trop sage pour pleinement convaincre.  
Olivier Bleys, Benjamin Bozonnet, Goya, Glénat, 56 p., 14,50 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Les grands peintres revisités par la BD

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