Galerie

Les Pueblo d’Anita Molinero

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 22 juin 2015 - 652 mots

« Je ne sais pas si la clope peut-être considérée comme un objet fétiche, mais disons qu’elle agit sur moi comme un élément positif, en particulier lorsque je travaille. Sans mon paquet de Pueblo que je ne cesse de tripoter au fond de ma poche, il m’est impossible de bosser en toute sérénité. Et, si j’ai un moment de doute, je m’arrête et j’en grille une ! », explique, entre deux éclats de rire, Anita Molinero, trop contente de tordre le cou au politiquement correct.

Elle en est convaincue : les Pueblo, dont la marque lui rappelle ses origines espagnoles, agissent comme un baume qui l’aide à se concentrer et à avoir confiance en elle, surtout lorsqu’elle s’attaque à des œuvres gigantesques qui demandent réflexion et recul. Et d’ajouter : « Je travaille la plupart du temps en extérieur avec la même équipe de gars plutôt costauds qui manient le lance-brûleur et le décapeur thermique avec dextérité et selon mes indications. Et, quand je tourne autour de mes sculptures en cours de réalisation, je suis anxieuse, car, si c’est raté, tout est à refaire ! Alors, cela me rassure de savoir mon paquet de cigarettes à portée de main. » La méthode Molinero ne souffre d’aucune imprécision : elle récupère des objets essentiels, vitaux pour la ville, et que tous partagent, riches ou pauvres : vieilles poubelles ou containers en PVC, matériaux de construction de rebut, appareils domestiques abandonnés, gravats, etc. Elle leur fait subir, ensuite, des métamorphoses spectaculaires grâce à des opérations chirurgicales à haut risque faisant intervenir l’air et le feu.
À ce propos, elle remarque, amusée : « La cigarette s’impose avec sa braise. C’est aussi un objet du souffle. » Effectivement, ses sculptures, à la morphologie tourmentée, semblent avoir été façonnées par une violente tempête, une météorite tombée du ciel, voire un tsunami meurtrier. « En fait, je ne cherche pas à détruire ces objets ayant appartenu à l’espace commun, je cherche, au contraire, à les sortir de l‘anonymat et à les mettre en lumière avec le statut d’œuvre d’art », corrige l’artiste. Outre leur beauté convulsive, ces formes torturées, mêlant panneaux extrudés, matières plastiques, armatures de fer rouillé, etc., nous touchent : une fois brûlées, fondues, boursouflés, tordues ou étirées, leurs aspects biomorphiques réveillent notre (in)conscience écologique. Échantillon d’une apocalypse programmée ? Peut-être. Molinero raconte : « J’ai été frappée par les grèves des éboueurs à Marseille.

En trois semaines le paysage était devenuapocalyptique ! »Cheveux blancs coupés court, yeux rieurs, sourire malicieux, Anita Molinero ose le rouge à lèvres carmin, mais prend volontiers des poses de chef de chantier. Elle se joue des paradoxes. Et brandit son étui de Pueblo pour en montrer le design discret avec ses couleurs jaune sable et bleu layette : « Un peu de douceur, voyons », dit-elle ! À propos de la cigarette comme objet de transfert, elle ajoute : « Ce n’est pas un fétiche très original, ni très glorieux, mais aujourd’hui la cigarette porte une charge transgressive surdimensionnée. Regardez le cinéma des années 1950, les films noirs américains, ou les drames sociaux italiens : Humphrey Bogart et Marcello Mastroianni ont toujours une cigarette au bec. Que voulez-vous, je viens d’un milieu de gros fumeurs et j’ai commencé à cloper vers 18 ans. Autrefois, fumer participait de la vie sociale. Ça reste encore un moment partagé. » 2015 marque une année faste pour Anita Molinero : elle vient de rejoindre la très dynamique Galerie Cortex Athletico, à Paris. Elle est aussi lauréate du prix de la Fondation Salomon, tout juste créé cette année par Jean-Marc Salomon, avec, à la clé, une résidence d’artiste à New York durant six mois. À la veille du départ, au moment de boucler ses valises, elle était tout excitée à propos de cette nouvelle aventure. Un peu inquiète tout de même : « J’espère que je vais pouvoir fumer sans être trop embêtée !»

« Anita Molinero
Le bayou », jusqu’au 4 juillet 2015. Galerie Cortex Athletico, Paris-3e. www.cortexathletico.com

« FOMO »
jusqu’au 2 août 2015. Friche la Belle de Mai, Marseille (13). www.lafriche.org

« Sèvres Outdoors »
jusqu’au 25 octobre 2015. Jardins de la cité de la céramique, Sèvres (92). www.sevresciteceramique.fr

« Genre humain »
sur une proposition de Claude Lévêque, jusqu’au 4 octobre 2015. Palais Jacques Cœur, Bourges (18). www.palais-jacques-coeur.monuments-nationaux.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Les Pueblo d’Anita Molinero

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