Le privilège du tabouret

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 22 juin 2015 - 376 mots

RECYCLAGE On a tous en tête l’image de ce curieux et hétéroclite assemblage de deux objets parfaitement ordinaires : un tabouret de dessinateur, en bois peint, surmonté d’une roue de vélo à rayons. Avec cette œuvre radicale intitulée Roue de bicyclette, Marcel Duchamp signait, en 1913, son premier ready-made. « Voir cette roue tourner était très apaisant, très réconfortant, c’était une ouverture sur autre chose que la vie quotidienne. J’aimais l’idée d’avoir une roue de bicyclette dans mon atelier. J’aimais la regarder comme j’aime regarder le mouvement d’un feu de cheminée », expliquera, plus tard, l’artiste.

Pas surréaliste pour un sou, le tabouret, seul cette fois, reste néanmoins, un siècle plus tard, un exercice très prisé des designers. Ainsi en est-il de ce spécimen conçu par le Japonais Oki Sato, de l’agence Nendo, pour la firme étatsunienne Emeco. Son nom : Su, concept esthétique nippon qui signifie à la fois « simple » et « sans ornement ». Originalité : ce siège cache bien son jeu, car, sous des dehors on ne peut plus ordinaires, il est le résultat d’une intelligente histoire de recyclage, s’inscrivant, de fait, en droite file de la philosophie de la société Emeco en matière de fabrication et de durabilité. Ledit recyclage est tout d’abord formel. Suivant une subtile idée du designer nippon, le tabouret réinterprète une forme chère au patrimoine de l’entreprise : l’empreinte de l’assise reprend, en effet, très exactement celle des sièges emblématiques d’Emeco, à l’instar de la fameuse et désormais classique chaise en aluminium Navy 1006, produite à partir de 1944 pour équiper sous-marins et navires de guerre de la marine américaine. Le recyclage est ensuite physique, en l’occurrence les matériaux utilisés sont tous de récupération. Ainsi, le chêne de l’assise, dans sa version en bois massif, provient-il de vieux bâtiments promis à la démolition sur tout le territoire des États-Unis. Le bois ainsi récupéré est ensuite « sculpté » par des artisans Amish de Pennsylvanie, faisant ainsi de chaque siège une pièce unique. À y regarder de plus près, on peut d’ailleurs distinguer quelques trous de vers, ce qui confère à la pièce de bois un indéniable cachet. Le piètement, lui, est en aluminium, matériau « traditionnel » chez Emeco, que l’entreprise recycle déjà depuis des décennies.

à voir
À 38 ans, le designer Oki Sato est la nouvelle figure de proue du design japonais. Né à Toronto, au Canada, il est diplômé en architecture de l’université Waseda, à Tokyo, ville où il a ouvert, en 2002, son agence, baptisée Nendo (www.nendo.jp)

à savoir
Le tabouret Su (www.emeco.net) existe également avec une assise en « béton écologique » – constituée à 50 % de bouteilles en plastique recyclées et à 50 % de ciment à base de sulfoaluminate de calcium – ou en polyéthylène – fabriqué à 75 % avec des déchets industriels et à 25 % avec du plastique recyclé après consommation

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°681 du 1 juillet 2015, avec le titre suivant : Le privilège du tabouret

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