Livre

Entre-nerfs

Art incendiaire

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 13 mai 2015 - 804 mots

Publié par les Éditions Macula, l’ouvrage que Kevin Salatino réserve à la représentation des feux d’artifice en Europe, au début des Temps modernes, est exemplaire. Un modèle d’érudition et d’édition.

Ils sont nombreux, ces éditeurs modestes qui tentent de tracer leur sillon au milieu de l’urgence et de la masse. Loin du tumulte des expositions et du brouhaha événementiel, certains tentent de publier des nouveautés, souvent courageuses, souvent nécessaires, de défendre des livres peuplés d’idées vives, de thèses inexplorées et d’images roboratives. Fondées en 1980, les Éditions Macula se distinguent ainsi par la subtilité de leur catalogue, riche de noms majeurs de l’histoire de l’art, souvent d’obédience universitaire, que l’on songe à Philippe Hamon (La Description littéraire, 1991), Rosalind Krauss (L’Originalité de l’avant-garde et autres mythes modernistes, 1993) ou Georges Didi-Huberman (La Ressemblance informe, 1995). Depuis quelques années, les éditions parisiennes proposent des ouvrages, dont la sobriété assumée, et splendide, est éloignée de la précédente ligne graphique, pourtant reconnaissable entre toutes grâce aux petits bandeaux rouges ou verts qui sertissaient les couvertures. Le présent ouvrage, qui s’inscrit dans la collection « Patte d’oie », laquelle entend accueillir des écrits littéralement excentriques – soucieux d’investiguer les marges –, trahit ce soin éditorial souverain.

Rigueur
La première de couverture de ce livre broché accueille, en blanc et sur un fond noir, les nom et prénom de l’auteur, la désignation des éditions et, avec un léger retrait, le titre de l’ouvrage. Le dos reprend les mêmes éléments, à ceci près que la mention éditoriale est restreinte à un simple « M », tandis que la quatrième de couverture abrite une image – ici une gravure de Pierre Faber représentant un feu d’artifice donné pour l’entrée de Louis XIII à Lyon en 1622. Un parti pris rigoureux que Macula a choisi de retenir pour chacune de ses collections, en faisant seulement varier le format du livre comme la couleur – cuivrée ou argentée – de la couverture.

À la page de titre et au sommaire de l’ouvrage, dont le grand corps permet de faciliter et de hiérarchiser la lecture, succèdent, dans l’ordre, une page avec une gravure de Nicolas de Larmessin (Habit d’artificier, env. 1690), une autre avec une citation d’Henry James, les deux chapitres du livre, intitulés « La culture des feux d’artifice » et « Les feux d’artifice et le sublime », un cahier de vingt-trois planches couleurs, une bibliographie, les remerciements de l’auteur, l’impressum et, enfin, une présentation du livre et de l’auteur.

Souplesse
Une attention a été portée à tous les détails. Tout en douceur et souplesse, la police d’écriture – le Tiina Pro –, associée à une justification ferrée à gauche, crée un rythme élégant et un déploiement harmonieux. Les illustrations intégrées dans le texte ne contreviennent pas à la fluidité de la lecture, de la même manière que l’appareil de notes n’a pas été relégué en fin d’ouvrage, comme c’est désormais souvent le cas. Toute la conception graphique, imaginée par le studio genevois Schaffter Sahli, sert ici le « plaisir du texte » : ainsi la qualité du papier, les images parfaitement légendées ou le report systématique du titre de chapitre en bas des belles pages.

Publié pour la première fois en 1997 par le Getty Research Institute, le livre jouit d’une traduction en tout points remarquable, par Alexandre Nguyen Duc Nhuân. De surcroît, cette première édition française n’est pas la simple translation d’une langue à une autre, puisque Kevin Salatino y a intégré des éléments supplémentaires et de nouvelles recherches, de telle sorte que, de l’aveu de son auteur, elle doit être considérée comme « une seconde édition, revue et augmentée et remplaçant l’édition originale anglaise ».

Embrasement
L’ouvrage ne saurait être une analyse de la pyrotechnie, à proprement parler. Il ne propose pas non plus de taxinomie du feu d’artifice, bien qu’il convienne d’en distinguer les usages, qui ressortissent tantôt au divertissement, tantôt au prestige militaire. Il s’agit donc bien plus d’une étude – iconologique, esthétique et politique – des modalités de représentation de ce genre si particulier, entre art et guerre (« Marte et Arte », dit la devise), qui inonda l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. L’auteur explore ainsi les stratégies narratives et visuelles mises en œuvre afin de fixer ces exercices pyrotechniques, d’autant plus complexes à restituer qu’ils sont volatils. Du reste, telle est la gageure des peintres, graveurs et dessinateurs, souvent anonymes : essayer de donner à voir le faste et l’éphémère du feu d’artifice, d’en domestiquer le sens et le « sublime », ce mot si cher à Edmund Burke, que certains imagiers ont incarné avec ferveur (Francesco Piranesi et Louis-Jean Desprez, La Girandola au-dessus du château Saint-Ange, vers 1783). Aussi, pour contenir ces embrasements de la beauté et ces flamboiements de l’âme, il fallait un écrin cistercien, aussi irréprochable que merveilleux. C’est chose faite.

Légendes photos

Anonyme, Plaque de verre amovible peinte pour théâtre de feux d’artifice, XVIIIe siècle, 33 x 40,6 x 10,2 cm, collection du Theater Instituut Nederland, Amsterdam. © Collectie Theater Instituut Nederland, Amsterdam.

Kevin Salatino, Art incendiaire. La représentation des feux d’artifice en Europe au début des Temps modernes, Éditions Macula, 168 p., 23 planches couleur et 54 illustrations noir et blanc, 24 €

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Art incendiaire

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