Au plus près du génie de Léonard

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 11 mai 2015 - 629 mots

Œuvre énigmatique, La Belle Ferronnière
a finalement été prêtée à Milan, où elle fut créée, pour la plus importante exposition jamais réalisée sur le peintre en Italie, au terme d’une restauration exemplaire qui permet d’approcher comme jamais le génie de Léonard.

Si elle est aujourd’hui acceptée, l’autographie vincienne de ce chef-d’œuvre du Louvre fut longtemps contestée. La faute à ce fond presque uniforme sur lequel se détache, sculpturale, et sans les transitions d’usage chez Léonard, une silhouette mystérieuse. La faute à la ferronnière, ce bijou qui, disposé sur le front, ne jouit pas du même luxe de détails qui caractérise les broderies veloutées du corsage. La faute à ces mains invisibles, cachées derrière un parapet, quand le maître toscan aima toujours en exprimer la grâce. La faute à cette carnation or pâle et, pour citer l’étude cruciale menée par Sylvie Béguin en 1983, à « l’éclairage assez brutal du visage qui supprime la subtilité des passages lumineux ». La faute, enfin, à cette mystérieuse tache orangée qui, sur la joue, attirait le regard et attisait les suspicions. Sans fin.

Une restauration irréprochable
Tout comme le spectateur est condamné à ne jamais croiser le regard du modèle, l’historien de l’art semblait prisonnier des hypothèses, incapable de rencontrer les yeux de la vérité. Suivie par une commission d’experts internationaux, l’étude menée par le Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) autorise désormais quelques affirmations et certitudes. L’analyse scientifique de cette œuvre, que Léonard réalisa durant la dernière décennie du XVe siècle, lors de son séjour milanais, nous apprend que son auteur conçut pour le visage un « spolvero », ce carton poncif percé de petits points qui permettait de transférer fidèlement un dessin préparatoire sur un autre support – ici un délicat panneau en noyer de sept millimètres d’épaisseur, fréquemment utilisé à Milan. Réalisé à main libre, le tracé du vêtement trahit une maîtrise technique remarquable, tandis que l’imagerie infrarouge a révélé que le parapet, en lequel d’aucuns voyaient un ajout, et donc un argument contre l’autographie vincienne, est parfaitement contemporain du personnage comme du fond sombre dont un prélèvement a montré qu’il n’était pas noir, à proprement parler, mais constitué de deux couches chromatiques et enrichi au cuivre.

Une fraîcheur retrouvée
La restauration a constitué en un allègement savant, manière de n’être pas invasif et de laisser la possibilité, à l’avenir, d’aller plus loin dans la connaissance physique de l’œuvre. Il s’agissait ainsi d’atténuer l’oxydation des vernis comme des petits repeints et de n’intervenir que sur le plus récent et le moins fragile des trois vernis, superposés en une couche d’environ cinquante microns. L’opération a également permis de calmer la tache orangée qui balayait la joue gauche du modèle, longtemps considérée comme un reflet maladroit quand elle était, en réalité, et plus prosaïquement, une usure du fin glacis, visuellement gênante.

L’œuvre récupère ainsi une fraîcheur, une grâce et une lisibilité équivalentes à celles que l’importante restauration de 1952 avait mises au jour, sans toutefois permettre l’actuelle unanimité quant à l’identité de l’auteur. Ce qui semblait hier étrange, voire étranger à Léonard, paraît aujourd’hui cohérent et logique. Comme pour tous les chefs-d’œuvre subsistent des points d’interrogation autour de cette Belle Ferronnière, dont le titre lui-même est né d’une confusion ancienne avec une autre toile du Louvre, propagée par Ingres lui-même : ce modèle est-il Lucrezia Crivelli, ainsi qu’invitent à le croire les sept distiques élégiaques au verso d’un feuillet du Codex Atlanticus ? S’agit-il plutôt de Béatrice d’Este, l’épouse de Ludovic le More  ? Comment l’œuvre, que l’on repère dès l’inventaire établi par Charles Le Brun en 1683, intégra-t-elle les collections royales françaises ? Autant de questions auxquelles les spécialistes devront répondre en terre étrangère : après Milan, l’œuvre rejoindra Abu Dhabi, pour l’inauguration du Louvre des sables… 

« Léonard 1452-1519 »

Jusqu’au 19 juillet 2015. Palazzo Reale, Piazza del Duomo, 12, Milan (Italie). Tarifs : 12 et 10 €. www.expo2015news.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°680 du 1 juin 2015, avec le titre suivant : Au plus près du génie de Léonard

Tous les articles dans Expositions

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque