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Les jeunes peintres

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 15 avril 2015 - 1141 mots

Ce mois-ci, le Salon de Montrouge donne rendez-vous aux collectionneurs et galeristes afin de leur présenter les talents de demain, dont des peintres.

Que de peintres cette année au Salon de Montrouge ! Raphaël Barontini, Marion Bataillard, Stanislas Bor, Valentin Dommanget, François Malingrëy, Filip Mirazovic, Lahouari Mohammed Bakir, Jean de Sagazan… sont quelques-uns des 60 artistes sélectionnés, parmi 3 000 candidats, pour ce salon destiné à faire émerger de jeunes talents. Ils sont tous peintres et tous les espoirs leur sont permis puisque, parmi les heureux élus des éditions précédentes de ce salon très suivi par les collectionneurs, plusieurs ont construit une solide carrière. Leurs noms ? Farah Atassi (qui fut depuis lauréate du Prix Jean-François Prat et nominée au Prix Marcel Duchamp), Mathieu Cherkit (dont le galeriste Jean Brolly vend absolument toutes les toiles produites) ou encore Jean-Baptiste Bernadet (qui, à 37 ans, voit déjà ses toiles vendues aux enchères, chez Phillips et Christie’s). Signe d’un retour de la peinture après des années d’éclipse ? Pour le marché, la question ne se pose pas. Et cela pour une simple raison : si les institutions ont pu en effet avoir tourné le dos à la peinture depuis les années 1990, les collectionneurs, eux, l’ont toujours soutenue. Et pour cause : « Le marché aime la peinture. Les toiles ont une signature, une technique, un format, une date… Cela est rassurant pour les collectionneurs », analyse le galeriste Renos Xippas. De fait, d’après le rapport Artprice sur le marché des enchères de 2014, la peinture constitue le « premier segment sur le très haut de gamme » et fut jalonnée l’an dernier de records phénoménaux – notamment avec Barnett Newman (69 millions d’euros) et Cy Twombly (63,5 millions d’euros)… Inabordable donc la peinture ? Absolument pas. Car 71 % des toiles furent échangées pour moins de 5 000 dollars, soit 4 600 euros. Et aujourd’hui, alors que les institutions semblent commencer à s’intéresser à nouveau à ce médium – même si, regrette la galeriste Dominique Garcia, « il reste plus difficile de placer un peintre dans une exposition de groupe » –, les jeunes peintres « sont plus nombreux qu’il y a 20 ans », assure Xippas, « et très sûrs d’eux-mêmes dans leur démarche ». Au point même que les collectionneurs, pour acheter leurs toiles, doivent s’inscrire sur des listes d’attente.

Nielsen, l’étoile montante
Avant même de figurer parmi les félicités des Beaux-Arts de Paris en 2009, Eva Nielsen est repérée par la galeriste Dominique Fiat, subjuguée par ses peintures qui mobilisent les techniques de la photographie et de la sérigraphie.
« J’ai aussitôt présenté deux de ses toiles à la Fiac… et j’en ai vendu dix ! », se souvient Dominique Fiat. Ses structures industrielles à l’abandon, aujourd’hui dans les collections du Mac/Val et du Cnap, suscitent désormais l’intérêt non seulement des collectionneurs français, mais également anglo-saxons et suisses. « Malgré son succès, nous freinons sa cote actuellement pour gérer sa carrière sur le long terme », indique sa galeriste.

Eva Nielsen, Grizzly, 2014, huile acrylique et sérigraphie sur toile, 200 x 150 cm. Courtesy de l’artiste et Dominique Fiat, Paris. Prix : 9 000 euros, Galerie Dominique Fiat, Paris.



Bernadet, aux enchères !
Il conçoit ses expositions et ses corpus comme des concerts dont les tableaux seraient les notes. Récemment exposé par Éric Troncy, représenté par trois galeries (Valentin à Paris, qui vient de lui consacrer une exposition personnelle ; Rod Barton à Londres et American Contemporary à New York), ce peintre abstrait de 37 ans vient de pénétrer le second marché. En septembre 2014 à New York, cette toile est la première à avoir été vendue aux enchères chez Phillips – sur désormais huit au total, plus une chez Christie’s –, triplant son estimation. « Nous avons décidé de la proposer car nous considérions le marché prêt à la soutenir », explique Maria Cifuentes Caruncho, responsable du département de l’art contemporain chez Phillips à Paris.

Jean-Baptiste Bernadet, Untitled (Fugue XXV), 2014, huile sur toile, 200,7 x 180,3 cm. Signée, titrée et datée au revers : « Jean-Baptiste Bernadet, Untitled (Fugue XXV), 2014 ».
Prix : 46 370 euros, Phillips, New York.




Atassi, vers l’international
« Vos toiles sont à moi ! », aurait lancé le galeriste Renos Xippas à Farah Atassi le jour même où il découvre ses peintures abstraites et métaphysiques, construites sans croquis. Depuis son exposition personnelle chez Xippas en 2011, suivie d’une seconde en 2013 – année où elle fut nominée au Prix Marcel Duchamp –, les collectionneurs doivent s’inscrire sur une liste d’attente pour espérer acquérir une de ses peintures, également prisées des institutions. « Mais son marché est stable et sain », assure le galeriste, qui s’attache à présent à développer la carrière internationale de l’artiste.

Farah Atassi, Sculptures for Yellow and Red, 2014, huile et glycéro sur toile, 185 x 140 cm, collection privée. Courtesy Galerie Xippas. Prix indicatif pour un format 185 x 140 cm : 21 000 euros, Galerie Xippas, Paris.


Cherkit, creuser son sillon
Moins de vingt toiles par an, des formats pouvant atteindre les 3 m de long que les collectionneurs s’arrachent… « Il est extrêmement suivi », remarque son galeriste Jean Brolly, qui l’a découvert au Salon de Montrouge en 2010. Ses toiles se vendent actuellement, selon leur format, entre 4 000 et 20 000 euros. « Le prix le plus haut qu’on peut demander pour un artiste qui n’a pas encore de carrière internationale », commente Stéphane Corréard. En attendant, Mathieu Cherkit – dont un tableau présenté par Marc Desgrandchamps a désormais intégré les collections du Cnap – continue de construire son univers personnel en peignant les intérieurs de la maison où il est né – comme ce tableau où la glace laisse apparaître ce qui se trouve derrière le peintre.

Mathieu Cherkit, Bird Box, 2014, huile sur toile, 162 x 130 cm.
Prix : 11 000 euros, Galerie Jean Brolly, Paris.
 

Questions à… Stéphane Corréard

Quel intérêt suscitent les ventes de peintures ?
Les collectionneurs y sont assez attachés. Quand nous avons des toiles de Philippe Cognée ou de Gérard Traquandi, nous recevons énormément de coups de fil – bien plus que pour Sophie Calle ou Annette Messager par exemple. Leurs toiles se vendent extrêmement bien, alors même qu’ils sont peu soutenus par les institutions… Remarquons d’ailleurs que les musées depuis les années 1970 s’intéressaient assez peu à la Figuration narrative, et c’est le marché qui a fait que les institutions exposent actuellement les artistes de ce mouvement pictural, comme Télémaque à Beaubourg.

Pourtant, les peintres n’envahissent pas les galeries…
Oui, car le premier marché est plus « social » : les clients des galeries aiment recevoir des invitations pour les vernissages, aller à la Fiac… Les clients du second marché, quand ils achètent une œuvre, la veulent vraiment pour elle-même. Et c’est surtout sur ce marché que la peinture est importante.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°679 du 1 mai 2015, avec le titre suivant : Les jeunes peintres

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