Le jour où Joshua Reynolds a peint son Autoportrait

Par Pierre Wat · L'ŒIL

Le 19 mars 2015 - 633 mots

Chaque mois, Pierre Wat raconte un jour dans la vie d’un artiste, entremêlant document et fiction pour mieux donner à voir et à imaginer.

Je m’appelle Joshua Reynolds, j’ai 25 ans et je suis peintre. Du moins le serai-je vraiment à mon retour d’Italie, où je m’apprête à partir pour trois ans. Je suis né à Plympton, dans le Devon, le 16 juillet 1723, mais c’est à Londres, chez Thomas Hudson, un peintre de portraits à la mode, que j’ai fait mon apprentissage dès l’âge de 17 ans. Là, j’ai appris tout ce qu’un apprenti doit apprendre : l’art de la perspective et celui de la composition, la fabrication des couleurs et le jeu des glacis, le dessin d’après nature et puis, surtout, la copie des maîtres anciens. Hudson possède une magnifique collection de dessins, notamment des Guerchin, que j’ai tellement aimé copier. Maintenant, je suis à mon compte : Joshua Reynolds, portraitiste. Mais, peut-être parce que mon père, le révérend Samuel Reynolds, est mort il y a trois ans, nous laissant seuls, mes sœurs et moi, dans une maison de Plymouth Dock, je sens qu’il me manque quelque chose pour être un vrai peintre, je veux dire un grand peintre, comme il n’en existe pas encore en Angleterre, ce pays sans vraie tradition picturale. Pour cela, rien à faire, il faut franchir le Channel, et ramener du continent ce qu’il peut donner de meilleur, le Grand Style. Je vais faire cela : j’irai à Florence, à Bologne, à Venise et à Rome et j’en rapporterai un idéal de beauté que j’imposerai à Londres et partout en Grande-Bretagne. Ainsi, j’accomplirai le projet de William Hogarth, lui qui signa fièrement l’un de ses tableaux d’un « W. Hogarth Anglus Pinxit » : je fonderai l’école anglaise de peinture.

En attendant, j’ai décidé de faire mon autoportrait. Comme ça, quand je rentrerai, je serai à même de mesurer ce qui a changé dans mon allure comme dans ma manière. Je l’ai commencé il y a quelques jours, et il me donne bien du travail. J’ai choisi de me représenter au moment où je vais commencer à peindre un tableau – c’est ma façon de célébrer ce nouveau départ que sera mon voyage –, tenant dans une main ma palette et la baguette sur laquelle je repose ma main lorsque je travaille, tandis que, de l’autre main, j’abrite mes yeux de la lumière qui semble inonder mon tableau en venant de la droite. Je suis heureux d’avoir trouvé ce geste inhabituel parce qu’on peut lui donner toutes les significations possibles. Certains y verront le geste d’un marin scrutant les flots au moment de l’embarquement, comme je scrute l’avenir avant de traverser la mer. D’autres préfèreront y voir une manière de mettre l’accent sur la peinture, comme une action, un geste en train de s’accomplir, qui nécessite sans cesse invention et adaptation. Et moi, au fait, qu’ai-je voulu y mettre, dans ce geste par lequel je fais surgir l’ombre là où naît le regard ? Je crois, précisément, que c’est ça que j’ai aimé, cette ambivalence d’une attitude où, sous prétexte de me montrer, je me cache au même moment sous un masque d’ombre. Si l’on veut régner, il ne faut pas s’exposer en plein soleil. La transparence est l’ennemi du pouvoir ; elle est aussi, j’en suis certain, une très mauvaise compagne de l’art qui, pour fasciner, doit toujours conserver sa part d’ombre et de secret. Il en va ainsi de ce tableau pour ce qu’il montre comme pour ce qu’il cache. En effet, sous l’autoportrait que j’achève, il y a une première version, qui ne me plaisait pas. J’ai donc retourné ma toile et j’ai peint, tel un masque, cette nouvelle version qui dissimule la première. Mais ça, personne à part moi ne le saura.

« Joshua Reynolds: Experiments in Paint », jusqu’au 7 juin 2015. Wallace Collection, Manchester Square, Londres (Grande-Bretagne), www.wallacecollection.org

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Le jour où Joshua Reynolds a peint son Autoportrait

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