Dubuffet, Renard, Gentil, Thévoz : les étoiles de la galaxie Robillard

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 mars 2015 - 1011 mots

À Lausanne, une exposition des fusils, spoutniks, maquettes et dessins d’André Robillard rappelle le rôle joué par les quatre hommes, un théoricien, deux médecins et un conservateur, dans la reconnaissance de l’œuvre de l’artiste.

En avril 1963, Jean Dubuffet, qui constitue alors sa collection d’œuvres d’Art brut, rentre bredouille de l’hôpital de Fleury-les-Aubrais. Deux ans plus tard, dans une lettre au docteur Renard, il écrira n’avoir pas trouvé « d’ouvrages susceptibles d’entrer dans le cadre de ses recherches ». Ce n’est qu’en 1965 que le psychiatre signalera au théoricien de l’Art brut l’existence de deux « fusils » d’un dénommé Robillard réalisés à partir de matériaux de récupération : bois, boîtes de conserve (une boîte de pilchards Captain Brand pour le chargeur), cuir, adhésif, plastique… Paul Renard date les deux premières « œuvres » de son patient de mars 1964, soit un an après le passage de Dubuffet. Ce dernier perçoit-il le potentiel de l’artiste ? Il fait en tout cas l’acquisition des deux fusils, et bouleverse la vie du jeune interné…

« Maintenant, il est heureux de vivre »
Né en 1931 dans le Loiret, André Robillard a 8 ans lorsqu’il franchit pour la première fois les grilles de l’hôpital de Fleury-les-Aubrais. Son père, qui vit seul et ne parvient pas à gérer son fils, l’a placé là en 1939, à l’école de perfectionnement Bourneville installée au sein de l’institution. Louis Moïse Robillard est garde-chasse au lieu-dit La Maltournée. Il fait découvrir la forêt, les animaux et les fusils à André, soit tous les thèmes qui resurgiront plus tard dans l’œuvre de son fils. André Robillard retourne à l’hôpital à l’âge de 19 ans, cette fois pour y être interné en raison de ses problèmes comportementaux. Jeune et volontaire, Robillard effectue d’abord de petits boulots pour l’institution, comme cuisinier puis jardinier, avant d’intégrer la station d’épuration où il a accès à la déchetterie voisine. C’est là qu’il trouve les matériaux de sa sculpture. « À partir du moment où ses deux fusils entrent dans la collection de Dubuffet, Robillard se reconnaît comme un artiste à part entière, explique Sarah Lombardi, la directrice de la Collection de l’Art brut à Lausanne. Sa reconnaissance envers Jean Dubuffet est depuis éternelle. » En témoigne ce portrait photographique que Robillard demande à l’époque au théoricien de lui envoyer et qu’il conserve encore aujourd’hui, chez lui, accroché à côté des portraits de Paul Renard et du docteur Gentis, le psychiatre et psychanalyste devenu chef de service à l’hôpital en 1964 – en même temps qu’un fidèle soutien de Robillard. Dubuffet, Renard, Gentis : trois étoiles dans la vie de Robillard, celles qui lui font prendre conscience de son talent : « J’ai réalisé alors que ce que je faisais avait de la valeur. Jusque-là, je ne m’en étais pas rendu compte », dit l’artiste. Car avant 1965, coupé du monde, Robillard croupissait dans un pavillon sordide – « Je crois qu’à l’époque on y entassait les arriérés », se souvient Gentis. Après cette date, Robillard voyage en France, en Suisse, en Belgique, quand ce ne sont pas les galeristes et les collectionneurs qui viennent directement à lui, le voir dans son pavillon de Fleury-les-Aubrais où il vit toujours…

En 1982, dans un courrier à Michel Thévoz, qui fut directeur de la Collection de l’Art brut de 1976 à 2001, Gentis écrit : « Ainsi, c’est grâce à Dubuffet, et à vous, et à tous ceux qui ont soutenu votre mouvement qu’André Robillard a pu donner un sens à sa vie – et je vous assure que maintenant il est heureux de vivre et de créer ses objets extraordinaires. » « L’art peut-il changer la vie ? », s’interroge Sarah Lombardi. Chez Robillard, cela ne fait aucun doute. 

Le Corbusier à l’avant-poste de la reconnaissance de Louis Soutter

« Où se situe la frontière entre l’art “culturel” et l’Art brut ? », demande Barbara Safarova, la présidente de l’association abcd (art brut connaissance & diffusion), dans le superbe livre Art brut, collection abcd, sorti à l’occasion de l’exposition de la collection Bruno Decharme à la Maison rouge (Flammarion, 49,90 €). Après tout, certains artistes catalogués Art brut ne sont-ils pas passés par les circuits académiques de l’art ? C’est le cas de Louis Soutter (1871-1942) qui fait partie de ces artistes cultivés et instruits, voire, en ce qui le concerne, bien instruit à la musique – il fut premier violon au philharmonique de Genève –, à l’architecture et à la peinture. Parti s’installé aux États-Unis en 1897, après avoir épousé une Américaine, il a même été nommé directeur du département des Beaux-Arts au Colorado Collège. Difficile de faire plus académique ! Chez Victor Hugo
En 2012, une exposition à la Maison rouge avait montré comment l’artiste suisse s’était réapproprié les formes de Raphaël, Michel-Ange et Botticelli, dont il connaissait parfaitement les compositions, avant de poursuivre, dans une évolution de l’histoire toute hégélienne, par une période dite « maniériste » puis une autre « de la peinture au doigt ». Sa santé mentale se dégradant, Soutter, qui est alors revenu en Suisse, est placé dans un hospice pour vieillards en 1923, là où l’on enfermait les fous et les indigents. C’est là qu’il se met à produire une œuvre importante en nombre et en qualité. Si ce sont deux médecins, les docteurs Forel et Gentis, qui ont joué un rôle décisif dans la reconnaissance d’Aloïse Corbaz et d’André Robillard, c’est un architecte, Le Corbusier, qui occupe une place centrale dans la reconnaissance de l’œuvre de Soutter… C’est lui qui révèle en 1936 aux lecteurs de la revue surréaliste Minotaure le travail de son cousin « qui a appris à regarder en dedans ». C’est lui, toujours, qui approvisionne Soutter en matériel, lui permettant de développer une œuvre personnelle, forte et incroyable, faite de figures et d’ornements, envahissant jusqu’aux blancs tournants de ses livres d’art et d’architecture. Une œuvre que l’on pourra de nouveau bientôt revoir à la Maison de Victor Hugo, à Paris, qui s’apprête à rapprocher ses dessins de ceux du plus célèbre écrivain français, lui aussi visionnaire.

« André Robillard »
Jusqu’au 19 avril.
Collection de l’Art brut à Lausanne (Suisse).
Ouvert du mardi au dimanche de 11 h à 18 h.
Tarifs : 10 et 5 €.
Commissaire : Sarah Lombardi.
www.artbrut.ch

« Louis Soutter/Victor Hugo, dessins parallèles »
Du 30 avril au 30 août, Maison de Victor Hugo, Paris-4e.
Tous les jours de 10 h à 18 h, sauf le lundi.
Tarifs : 5 et 7 €.
maisonsvictorhugo.paris.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Dubuffet, Renard, Gentil, Thévoz : les étoiles de la galaxie Robillard

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