Hélène Koehl : La famille n’a rien fait pour faire connaître Alfredo Müller

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 18 mars 2015 - 720 mots

Chercheuse en maths et en biologie
à la retraite, Hélène Koehl a pris en charge de faire reconnaître le travail de son aïeul le peintre et graveur Alfredo Müller, décédé en février 1939.

Les Amis d’Alfredo Müller, réunis en association, viennent d’éditer le premier catalogue raisonné de l’œuvre graphique de ce peintre et graveur qui a partagé sa vie entre Paris et la Toscane. Comment expliquez-vous que son œuvre, pourtant intéressante, soit aujourd’hui oubliée ?
HÉlÈne Koehl La première raison est qu’il a eu une vie morcelée entre son Italie natale et la France. Et, à chaque fois, il a dû recommencer sa carrière avec une nouvelle identité. En France, on connaît le graveur Alfred Muller qui est bien coté dans les ventes aux enchères, mais on ne connaît absolument pas le peintre Alfredo Müller. En Italie, c’est l’inverse. Encore aujourd’hui, certaines personnes hésitent à reconnaître qu’il s’agit du même artiste. La deuxième raison est qu’Alfredo Müller a été jugé comme un renégat : il a été considéré par les Italiens comme étant trop francophile, parce qu’il avait apporté une peinture inspirée de l’impressionnisme sur une terre qui était attachée à défendre l’unité de l’Italie. En France, en revanche, il a été marginalisé comme un Italien.

Vous êtes une descendante de la petite sœur d’Alfredo Müller, quel rôle la famille a-t-elle joué dans cet oubli ?
La famille n’a rien fait pendant au moins une génération pour faire connaître Alfredo Müller qui n’a pas eu d’enfant. La famille Müller étant une famille qui s’est toujours déplacée au cours des siècles, l’idée de conservation d’un patrimoine n’est pas la sienne. Ainsi, pour la génération qui a précédé la mienne, l’idée de conserver et d’inventorier son œuvre n’a effleuré l’esprit de personne. Ainsi, quand les archives ont été retrouvées par des héritiers indirects, ces derniers les ont dispersées en deux ventes, à Soissons, en 1994. Résultat, Alfredo Müller étant mort en février 1939 et les droits courant sur une période de soixante-dix ans, il n’a plus d’ayants droit aujourd’hui, et personne n’a jamais joué ce rôle.

Quand avez-vous pris la responsabilité de le faire redécouvrir ?
Nous nous sommes remis au travail en 2008 et nous avons créé l’association en 2010. Non pas pour revendiquer un regard d’ayants droit, mais pour permettre à ceux qui voudraient travailler sur lui de le faire. 

Quels sont les objectifs des Amis d’Alfredo Müller ?
L’objet de l’association est d’abord d’inventorier, de cataloguer et de publier le travail de Müller, de façon à rendre l’œuvre et le personnage lisibles. Pour cela, il nous faut reconstituer ses contacts – il a eu, par exemple, de prestigieux marchands : Vollard, Edmond Sagot et Pierrefort pour l’estampe, plus tard Paul Rosenberg pour la peinture –, et faire un travail d’historien, même si les grandes lignes de sa vie sont déjà posées. Après le premier catalogue sur l’œuvre sur papier que nous venons de publier, nous travaillons à la publication du catalogue de l’œuvre peint. L’étude de sa peinture nous permettra de développer des aspects de sa vie qui ne l’ont pas encore été. Ces ouvrages permettront de corriger beaucoup d’erreurs de date ou de signature qui peuvent être faites… Nous espérons donc qu’ils seront dans les bibliothèques des musées, des galeristes, des commissaires priseurs, etc. Peut-être permettront-ils aussi de répondre à des polémiques : Alfredo Müller a-t-il, comme on le dit dans la famille, peint avec Cézanne ? Cela reste un mystère…

Travaillez-vous avec les musées ?
Nous essayons, en effet, de faire en sorte que les musées acquièrent des œuvres. La Bibliothèque nationale a fait un travail formidable sur Müller. Nous avons aussi de bons contacts avec le Musée des beaux-arts de Rouen, qui possédait déjà un pastel, et nous avons d’autres contacts avec des institutions en France.

Quel travail cela représente-t-il pour vous aujourd’hui ?
Je suis à la retraite, mais il est vrai que cela prend beaucoup de temps. Il me faut apprendre aussi, car je ne suis ni éditeur, ni libraire, ni galeriste… Heureusement, j’ai été chercheuse en maths et en biologie et j’ai beaucoup de soutiens. Mais le plus important est qu’Alfredo Müller soit connu par un public plus grand. Et il vaut aller vite, car il ne nous faut pas compter sur les prochaines générations. Elles n’ont pas l’obligation de s’intéresser, comme moi, à l’œuvre de Müller.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Hélène Koehl : La famille n’a rien fait pour faire connaître Alfredo Müller

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