Michel Herbillon : nous sommes des lanceurs d’alerte

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 17 mars 2015 - 1400 mots

Le député UMP, maire de Maisons-Alfort, siège à la commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale. Il est coauteur d’un rapport sur « Des réserves aux cimaises : valoriser les collections des musées de France ».

L’œil Selon le rapport, seuls 36 % des musées ont effectué le récolement de leurs collections à la fin de 2014, alors qu’il était imposé par la loi musée pour 2012. Vous préconisez donc de reporter de deux ans, soit au 31 décembre 2016, la fin du récolement. Ce qui n’a pas été fait en 12 ans, peut-il l’être en seulement deux années ?
Michel Herbillon Nous proposons de repousser le délai – qui a déjà été reporté à la fin de 2015 par la direction des musées de France (DMF) – justement pour mettre une date finale réaliste. Je rappelle que la loi musée de 2002, sur laquelle la mission d’information a voulu faire le point, imposait de faire le premier récolement décennal des collections pour 2012, or cela n’a pas été fait. Certes, il y a eu beaucoup de retard pris à l’allumage, et les musées n’ont en réalité pas disposé de dix ans. Mais nous disons dans ce rapport qu’il faut réaliser ce récolement. Si l’on souligne souvent le dynamisme des musées en France pour leurs expositions, dont je salue la qualité, les collections n’ont souvent pas été considérées comme une priorité. Or, comment avoir une politique de dépôts, de prêts ou d’expositions si l’on n’a pas l’entière connaissance de ses réserves ? Oui, la date de fin 2016 est réalisable, parce que c’est une nécessité.

Selon vous, le récolement n’est pas qu’une affaire de moyens. Pour autant, les collectivités territoriales ont-elles les moyens de réaliser le récolement des petits musées ?
Je n’aime pas l’expression « petits musées ». Certes, il existe des situations diverses entre le Louvre, Orsay, le Musée du quai Branly… et les autres musées ; mais il y a aussi de nombreux « petits musées » qui ont mené à bien cette mission. D’abord, le récolement est une obligation faite par la loi, il faut donc la respecter. Ensuite, nous préconisons l’échange de bonnes pratiques et d’informations entre les musées. Après tout, la DMF pourrait jouer un rôle de pilotage afin de venir en aide aux musées qui ont des difficultés et d’essayer de lutter contre ce que j’appelle la solitude scientifique d’un certain nombre de responsables d’institutions. Nous préconisons ainsi de faire appel à des récoleurs bénévoles, par exemple à des étudiants en histoire de l’art. C’est une question de volonté et de priorité, avant d’être une question de moyens, même si je ne néglige pas ce dernier point.

Comment faire pour convaincre les élus locaux ?
Les élus vont avoir tendance à mesurer le dynamisme du musée par sa fréquentation et ses expositions, il faut donc en effet les convaincre. Mais ils doivent comprendre que la connaissance des collections n’est pas une fin en soi ; elle est un préalable à de nouvelles idées d’expositions autour d’une œuvre, d’un artiste… Tout en permettant d’améliorer les réserves, les prêts à d’autres musées, etc. C’est un ensemble.

Vous préconisez d’étendre la règle du transfert automatique de propriété des dépôts de longue durée à tous ceux datant d’avant 1945. Mais les musées nationaux transfèrent déjà des œuvres à d’autres musées, quant aux prêts entre les musées, les expositions montrent qu’ils sont opérationnels. Votre rapport n’est-il pas un peu alarmant ?
Nous ne voulons pas alarmer ; beaucoup de choses fonctionnent très bien dans les musées et nous le disons dans le rapport. Simplement, nous sommes un peu des… lanceurs d’alerte ! Nous avons veillé à ce que les 47 propositions pour une gestion rénovée des collections des musées de France que nous faisons dans le rapport soient réalistes, pragmatiques. Nous avons conscience de l’état des finances publiques. Mais nous voulons que les aspects gestion des réserves, circulation des œuvres, prêts et dépôts, apparaissent dans le projet scientifique et culturel (PSC), qu’il ne se limite pas simplement aux expositions, à la médiation et aux tarifs, même si ces derniers points sont importants. Il faut revenir à l’esprit de la loi de 2002.

Votre rapport pointe le fait que beaucoup de musées n’ont pas de Projet scientifique et culturel. N’est-ce pas inquiétant ?
Nous touchons là au cœur de la loi musée de 2002 : c’est le PSC qui a conditionné la labellisation d’un certain nombre de musées en « musée de France ». Là aussi, il faut faire l’évaluation pour savoir où nous en sommes. Vous savez qu’un certain nombre de musées ont fermé (128 sur le plan national) ; des labels peuvent donc être retirés. C’est pourquoi nous demandons à la DMF de faire un travail de pilotage qui ne doit pas être uniquement un contrôle, mais une animation.

Quel est l’état des réserves des musées en France ?
Il existe des situations diverses et variées. Les musées récents, comme le Quai Branly ou le Mucem, possèdent des réserves absolument remarquables. Après, plusieurs questions se posent : celles de la localisation des réserves – doivent-elles se situer ou non à côté du musée ? –, de l’ouverture ou non d’une partie au public, aux scientifiques ou aux élus, de l’exiguïté des réserves – dans certains cas, la réserve fait 25 m2 ! –, de leur sécurité…

La délocalisation des réserves du Louvre à Lens fait aujourd’hui polémique. Est-ce justifié ?
À New York, les réserves du MoMA sont situées loin du musée et, apparemment, cela fonctionne bien. Il est sûr que les réserves ne doivent pas être pour cela un simple hangar. Il faut en faire un élément dynamique de la politique du musée en les valorisant. Les réserves doivent être un lieu vivant, d’études, de recherches, un lieu visité. Dans notre rapport, nous jugeons que le déménagement des réserves du Louvre à Lens est une bonne chose dans la mesure où elles sont conçues comme un lieu vivant avec la présence de personnels scientifiques et faisant partie de la politique du Louvre. Il ne faut pas se voiler la face, le prix du foncier étant tellement important dans les centres-villes que la délocalisation des réserves se pose forcément. Il va falloir faire évoluer les mentalités, et surtout ne pas penser que travailler dans les réserves est une punition.

Le rapport insiste sur le fait qu’il n’y a pas eu suffisamment de volonté politique envers les œuvres de provenance douteuse, les fameux MNR (Musées nationaux récupération) arrivés dans les collections françaises après la guerre…
Il nous faut avoir une meilleure connaissance des œuvres MNR. Il y en a 2 143 de recensées en France, et seulement 200 de restituées ! La France doit se montrer plus proactive. Je défie quiconque aujourd’hui de trouver les MNR dans un musée. Il faut donc continuer les investigations et les recherches, pourquoi pas organiser de nouvelles expositions itinérantes… Le but est de permettre à des propriétaires spoliés, ou à leur famille, de pouvoir récupérer leurs œuvres quand nous sommes certains de leur propriété. Ensuite, nous proposons de changer le nom des MNR. Car qui sait, à l’exception des experts, ce que ce sigle signifie ? Il suffirait pourtant d’inscrire sur le cartel « œuvre récupérée en 1945 » et « origine incertaine », ce qui serait un peu plus parlant. Une fois que le travail pour retrouver les propriétaires aura été fait, nous proposons de faire déclasser ces œuvres pour les faire entrer dans les collections nationales. La France n’a commencé à lever le couvercle sur cette période de son histoire que récemment. Il faut passer à la vitesse supérieure… 

Selon la loi, le récolement est l’opération qui consiste à vérifier, sur pièce et sur place, à partir d’un bien ou de son numéro d’inventaire : la présence du bien dans les collections, sa localisation, l’état du bien, son marquage, la conformité de l’inscription à l’inventaire avec le bien ainsi que, le cas échéant, avec les différentes sources documentaires, archives, dossiers d’œuvres, catalogues.

121 millions
C’est l’évaluation du volume des collections publiques à récoler, dont 10,9 millions pour les collections des 41 musées nationaux du Ministère de la Culture


Restitution des œuvres classées MNR par la France à leur propriétaire depuis 1951
200 sur 2 143 dont :
20 entre 1951 et 1955
4 entre 1957 et 1979
0 entre 1979 et 1994
33 entre 1996 et 2000
9 entre 2003 et 2006
10 entre 2013 et 2014

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°678 du 1 avril 2015, avec le titre suivant : Michel Herbillon : nous sommes des lanceurs d’alerte

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