Liège (Belgique)

Le 30 juin 1939, que fallait-il faire ?

La Cité miroir, jusqu’au 29 mars 2015

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 19 novembre 2014 - 420 mots

Le 30 juin 1939, à quelques jours de l’entrée en guerre des grandes puissances contre l’Allemagne, le IIIe Reich met à l’encan à Lucerne, cent vingt-cinq peintures et sculptures issues des musées allemands.

Ce n’est pas la première fois que les nazis se séparent d’œuvres modernes des collections nationales, plusieurs ont été négociées discrètement. Mais Hitler veut tester une nouvelle formule, espérant que l’excitation de la mise aux enchères fasse s’envoler les prix afin de financer ses ambitions et la guerre qu’il prépare. Ce qui est qualifié de « dégénéré » dans les autodafés nazis, est donc, en Suisse, présenté comme des « chefs-d’œuvre ». Lorsque le premier coup de marteau tombe peu après 14 h, l’excitation est bien au rendez-vous : plus de trois cents marchands, collectionneurs et responsables de musées sont venus du monde entier dans « une ambiance de concours de tir ». Alertée par un instituteur local, la ville de Liège est présente elle aussi par l’intermédiaire de son échevin, Auguste Buisseret. Celui-ci a en poche un petit magot de cinq millions de francs belges qu’il a réunis auprès d’industriels soucieux d’enrichir les collections de la ville. Ce qu’il fera, revenant en héros à Liège où le « miracle » sera célébré au champagne, avec neuf toiles de Chagall, Ensor, Kokoschka, Laurencin, Liebermann, Marc, Pascin, Gauguin et Picasso. C’est cet épisode qui est aujourd’hui présenté à Liège, non pas raconté mais littéralement rejoué à la Cité miroir, bâtiment de style Bauhaus commandé en 1939 dans une Belgique encore libre, et inauguré en 1942 par l’occupant allemand. Théâtrale, la scénographie expose donc ces neuf œuvres, associées à dix-sept autres de la vente, prêtées par des musées étrangers et des collectionneurs privés, sur des morceaux de cimaises comme littéralement arrachées des musées allemands. Une bande sonore rejoue, en allemand, la vente et ses adjudications. Nulle leçon d’histoire ici, ni même de morale, mais une exposition qui invite à s’interroger sur la complexité de l’Histoire. Que fallait-il faire le 30 juin 1939 ? Rester chez soi ou enrichir le régime nazi ? Sachant aujourd’hui que la délégation liégeoise ne peut être suspectée de sympathie envers le futur ennemi qui arrêtera Buisseret dans les premières heures de l’occupation et condamnera à mort Jacques Ochs, directeur de l’Académie royale des beaux-arts. Sachant aussi, note un témoin de la vente, « quel était l’effet quand un artiste n’était pas acheté : c’était comme une condamnation à mort ». Pour l’universitaire Jean-Patrick Duchesne, commissaire de l’exposition : « Le débat reste ouvert. »

« L’Art dégénéré selon Hitler. La vente de Lucerne, 1939 »

La Cité miroir, place Xavier-Neujean 22, Liège (Belgique), www.citemiroir.be

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°674 du 1 décembre 2014, avec le titre suivant : Le 30 juin 1939, que fallait-il faire ?

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