Art contemporain

Collectionner l'art urbain

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 13 octobre 2014 - 1171 mots

Embryonnaire il y a cinq ans, le marché de l’art urbain, mouvement aussi foisonnant qu’abordable, est en plein essor.

Né il y a plus de quarante ans, l’art urbain n’avait a priori pas vraiment de quoi séduire le marché : autodidacte, populaire et frondeur, le mouvement s’épanouit sur des supports difficilement monnayables, et sa frange la plus radicale s’est toujours défiée des galeries et institutions. Depuis une dizaine d’années pourtant, il suscite un engouement commercial croissant : « L’art urbain est dans l’air du temps, explique le galeriste Franck Le Feuvre. Il correspond à la sensibilité du public, est international, et touche aussi bien l’homme de la rue que les élites et les amateurs d’art. En cela, il répond aux attentes des marchands, qui ont besoin de sang neuf. » Grâce à la qualité de sa scène street art (JR, Invader, Zevs ou C215 jouissent d’une stature internationale) et au soutien précoce de figures comme Agnès b. ou Magda Danysz, la France possède l’un des marchés les plus dynamiques au monde. Depuis 2008, le nombre de galeries parisiennes qui défendent le mouvement ne cesse de croître. L’art contemporain urbain, comme on l’appelle désormais, est aussi largement soutenu par les salles des ventes – dont Artcurial, qui a joué le rôle de précurseur et se distingue en matière de crédibilité et de sérieux. Le marché est d’autant plus porteur qu’il reste abordable : si l’on excepte un petit groupe d’artistes où figurent Banksy, Shepard Fairey ou Os Gemeos, le gros des œuvres originales se monnaie autour de 5 000 euros et dépasse rarement les 10 000 euros. Son assise populaire lui vaut de séduire aussi bien des collectionneurs d’art contemporain que les passionnés ayant grandi avec le graffiti.

Encore peu spéculatif, il n’échappe pourtant pas aux tentatives de manipulations. Beaucoup pointent ainsi du doigt les artistes – Ludo et Gully en tête – surcotés artificiellement par certains galeristes et investisseurs. « Certains collectionneurs n’ont pas la connaissance du mouvement et spéculent sur les artistes urbains, note Franck Le Feuvre. Ils se font duper, alors que les vrais collectionneurs savent faire la différence. » S’il reste marginal, le phénomène pourrait à terme fragiliser un marché émergent. Pour parer ce risque, la plupart des marchands, parmi lesquels Nicolas Chenus et Samantha Longhi, appellent de leurs vœux « une vraie critique d’art en mesure de faire la distinction entre le vrai et le faux, le bon et le mauvais. »

Augustine Kofie
Relativement confidentiel en France, Augustine Kofie est à 41 ans l’une des « stars » du graffiti californien, qu’il pratique à Los Angeles dès le milieu des années 1990. Aujourd’hui, il s’inscrit dans la mouvance du graffuturisme – versant abstrait et défricheur du writing. « Il collabore  avec des galeries américaines à San Francisco, à Detroit et bientôt à New York, et nous le représentons pour l’Europe, expliquent Samantha Longhi et Nicolas Chenus de la galerie Openspace. Son travail est aujourd’hui établi sur le marché américain et nous travaillons donc à sa reconnaissance sur le sol européen. Ayant depuis son exposition de 2013 une centaine de clients sur liste d’attente, je pense que nous avons réussi à partager notre passion pour son travail… »
Augustine Kofie, Within Reach No 4,  2014, technique mixte sur bois, 66,04 x 43,18 cm. Galerie Openspace.  Prix : 1 800 euros

Zevs
Après avoir pratiqué le graffiti à l’adolescence, Zevs (de son vrai nom Aghirre Schwarz) s’est imposé dans les années 2000 comme un pionnier français du street art et l’un de ses plus brillants représentants. Jouant sur le registre de la violence pour mieux contrer le matraquage publicitaire, ses œuvres sont autant d’« attaques », de « liquidations », de « viols » et de « kidnappings » d’images. Certains de ses travaux les plus emblématiques sont présentés actuellement à l’espace Elektra de la Fondation EDF (Paris), dans le cadre de l’exposition collective « #Street art ».
Zevs, Attaque Visuelle Rochas féminin, Paris, 2001. Tirage Lambda,
100 x 66 cm, édition de 6 2. Prix : 6 500 euros.

Sowat
Né en 1978 à Marseille, Sowat y a longtemps pratiqué le graffiti avant de se tourner vers une forme plus épurée de calligraphie. En 2009, il initie le « Mausolée » avec Lek et rassemble dans un supermarché désaffecté une quarantaine d’artistes phares du graffiti hexagonal. Cette résidence artistique sauvage renouvellera les modes d’exposition de l’art urbain et servira d’inspiration à des initiatives telles que les Bains Douches, la Tour Paris 13 ou le Lasco Project, actuellement au Palais de Tokyo… Dernier venu à la galerie Le Feuvre, il reste abordable, mais pour combien de temps ?
Sowat, Sans titre, encre sur papier, 76 x 57 cm. Galerie Franck Le Feuvre, 2014. Prix : 1 800 euros .

Vhils
À 27 ans, Alexandre Farto aka Vhils est déjà un poids lourd de la jeune scène street art [lire aussi p. 36]. Encore discret en salles des ventes, l’artiste portugais passé maître dans les techniques de la gravure est aussi présent dans la rue qu’en galerie et dans les institutions. « Il cote haut, note Paul-Arnaud Parsy de chez Tajan, mais sa progression sur le marché est assez saine et mesurée. » Invité à la Nuit blanche à Paris en octobre dernier, il expose jusqu’au 15 novembre à la galerie Magda Danysz.
Vhils, Sans titre, plaque de métal gravée à l’acide, 2014, 75 x 100 cm. Galerie Magda Danysz, Paris. Prix : 9 500 euros.

Questions à...

Nicolas Chenus et Samantha Longhi, galeristes et éditeurs De quand date l’essor de l’art urbain sur le marché ? L’année 2009, celle des grandes expositions en France (« TAG » au Grand Palais, « Né dans la rue – Graffiti » à la Fondation Cartier), un an après Street Art à la Tate Modern de Londres, est déterminante. L’expansion de la scène artistique mondiale était telle à ce moment-là que les acteurs du marché ne pouvaient plus passer à côté.
Quelles techniques, esthétiques, courants, les acquéreurs prisent-ils le plus ? Alors que le marché a pris son envol à la fin des années 2000 sous le signe du graffiti américain et de ses pionniers, cet engouement est un peu retombé à quelques exceptions près (JonOne, Crash, Cope2). Le street art et ses représentants utilisant le pochoir, l’affiche ou la peinture suscitent un vrai intérêt : C215, Jef Aérosol, Invader, Speedy Graphito, etc. Toutefois, il nous semble reconnaître un désir grandissant chez les collectionneurs de voir plus de technicité et de savoir-faire.
Quel est le prix moyen ? Pour une œuvre originale, cela peut aller de 100 à 100 000 €. Pour une toile de 100 x 100 cm, il faut compter entre 1 000 et 10 000 €.

Où acquérir des œuvres \"street art\" ?

Galerie Franck Le Feuvre, 164, rue du Faubourg-Saint-Honoré, Paris-8e, www.galerielefeuvre.com
Galerie Openspace, 56, rue Alexandre-Dumas, Paris-11e, www.openspace-paris.fr
Galerie Itinerrance, 7bis, rue René-Goscinny, Paris-13e, itinerrance.fr
Galerie Magda Danysz, 78, rue Amelot, Paris-11e, www.magda-gallery.com
Galerie Mathgoth, 34, rue Hélène-Bion, Paris-13e, www.mathgoth.com
Galerie Wallworks, 4, rue Martel, Paris-10e, www.wallworks.fr

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°673 du 1 novembre 2014, avec le titre suivant : Collectionner l'art urbain

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