Prix

Les quatre nominés du Prix Marcel Duchamp

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 13 octobre 2014 - 1024 mots

Julien Prévieux - À contre-emploi
Né en 1974, Julien Prévieux est représenté par la Galerie Jousse Entreprise, Paris 3e, www.jousse-entreprise.com

D’une pratique souvent considérée comme laborieuse – la rédaction d’une lettre de motivation en vue de l’obtention d’un travail –, il a fait le prétexte d’une démarche artistique. Abordant le genre à l’inverse de ce qui le définit, Julien Prévieux a répondu sept années durant à des offres d’emploi pour expliquer à ses correspondants sa non-motivation. « Écrire une lettre de motivation, dit-il, c’est complètement schizophrène, on est obligé de s’oublier, de réfléchir à l’idée que l’entreprise a de son futur salarié et se réinventer en ces termes-là. » Au cinéma comme au théâtre, on parle de contre-emploi. Le mot convient à merveille pour qualifier la sorte d’esthétique du travail de Prévieux. Originaire de Grenoble, la quarantaine toute fraîche, l’artiste est à l’excès témoin de son temps. Sa démarche est à l’écho d’une époque et d’une société qui ont fait des concepts de travail, d’économie, de contrôle, d’industrie culturelle, etc., les vecteurs fondamentaux de leur dynamique. Prévieux s’est ainsi saisi de l’affaire Madoff (Forget the Money, 2011) en acquérant en vente publique une partie de sa bibliothèque dont les titres sont autant de signes prémonitoires du destin de ce dernier. Polymorphe, adaptée à chacune des situations qu’il détourne pour leur faire rendre un sens caché, l’œuvre de Prévieux n’est pas sans rappeler la formule chère à Louise Bourgeois : « Art is the guaranty of sanity. »

Philippe Piguet

 


Les frères Quistrebert - Ombre et lumière
Nés en 1982 et 1976, Florian et Michaël Quistrebert sont représentés par la Galerie Crèvecœur, Paris 20e, www.galeriecrevecoeur.com

Peint dans la première moitié du XVIIe siècle, Le Songe de saint Joseph, conservé à Nantes, n’a pas dû manquer de retenir l’attention des frères Quistrebert, et il est aisé de penser que la façon qu’a l’artiste de composer son tableau selon de subtils jeux d’ombre et de lumière les a influencés. Originaires de la ville qui vit aussi naître Jacques Demy, les deux frères Florian et Michaël Quistrebert travaillent en commun depuis une douzaine d’années. Peintures, dessins, sculptures et vidéos sont à l’inventaire d’une œuvre qui orchestre la collusion de styles très différents pour élaborer un univers singulier de formes libérées de tout contexte invitant le regardeur à s’abandonner à son propre imaginaire. L’idée de mouvement y est le fil conducteur d’une démarche adossée à une réflexion sur le sensitif dans l’intention d’interroger nos habitudes perceptives et de dessiller notre regard du carcan des conventions dans lesquelles il est enfermé. Brassant tout à la fois l’ancien, le moderne et l’actuel, plus intéressés par les sujets éternels qu’actuels, Florian et Michaël Quistrebert sont en quête de formulations plastiques nouvelles qui s’inscrivent dans une réflexion plus générale sur l’origine du monde, les mécanismes de la vie, voire du cosmos. Non sans humour parfois, comme l’atteste leur vidéo intitulée Amnesic Cisenma (Circles), hommage à Duchamp, véritable moment d’hypnose optique.

 

Philippe Piguet

 


Théo Mercier - Créateur d’objets bizarres
Né en 1984, Théo Mercier est représenté par la Galerie Gabrielle Maubrie, Paris-4e, www.gabriellemaubrie.com

Chez Théo Mercier, un géant en forme de tas de spaghettis regarde le visiteur avec des yeux tristes, un masque africain a un ananas sur la tête, un mug est sexué, un squelette vert a une carotte dans le nez et un écroulement de vieilles pierres ressemble à un décorum d’aquarium. Pour ce jeune plasticien né en 1984, et représenté par la galerie Gabrielle Maubrie ainsi que par VnH Gallery, « l’art pour l’art » est à fuir. Ne cherchant aucunement à produire pour une caste d’initiés, Mercier revendique le qualificatif d’artiste populaire : « Je ne fais pas de l’art pour les spécialistes », précise-t-il dans son atelier parisien du 18e arrondissement. « Un musée où l’on rit… Le rêve ! », voilà bel et bien l’objectif de cet artiste collectionneur qui collecte dans les supermarchés, les boutiques désuètes et aux puces toutes sortes d’« objets acteurs », à forte présence, qu’il assemble à sa façon pour en faire jaillir l’incongruité farcesque. Se situant dans l’héritage du cadavre exquis des surréalistes et de la tradition dada du collage, les objets baroques, ruines sans fin et autres sculptures postethnologiques de Théo Mercier provoquent le rire mais pas seulement. Ces productions bizarroïdes, mêlant pop, kitsch et révolte punk, sont aussi à décrypter comme autant de vanités et de cabinets de curiosités révélant l’absurdité vertigineuse d’un monde contemporain où tout est copie, parodie, artefact et image dérivée d’image.

 

Vincent Delaury

 


Evariste Richer - Toujours en éveil
Né en 1969, Evariste Richer est représenté par les galeries Meesen De Clercq (Bruxelles) et Schleicher et Lange (Berlin)

Vingt ans de carrière, déjà, et un enthousiasme intact chez cet artiste passé par l’école des beaux-arts de Grenoble avant de sortir diplômé de l’école nationale de Cergy-Pontoise en 1994. Depuis, le parcours s’est construit patiemment pour atteindre la maturité plastique et esthétique qui caractérise ses œuvres. On les a vues rassemblées à partir de 2007 à la Galerie de Noisy-le-Sec et l’an dernier au Palais de Tokyo. Son art élégant, mystérieux, tisse avec les sciences physiques des liens qui n’ont rien d’opportuniste ou d’illustratif. Les sculptures, les œuvres graphiques, les dessins ne sont en rien des leçons de choses, mais des explorations de la perception et de ses théories patiemment déconstruites. Les œuvres érudites qui résultent de ces incursions dans la géologie, l’astronomie, l’astrophysique ou la climatologie parviennent à ménager une sensualité dans l’expérience qu’elles proposent à leurs spectateurs. Elles laissent transparaître la chaleur de l’homme, passionné par ses « découvertes » tout en étant profondément réfléchi et posé. L’artiste calcule avec précision, exécute avec finesse des œuvres qui convoquent autant des roches, des aurores boréales, des minerais rares comme des « perles de caverne », que des spectres lumineux aux couleurs insolentes. Car la force d’Evariste Richer est aussi celle-là, un éveil constant aux formes qui lui évite d’adopter un « style » scientifique, froid et rationnel à l’envi.

 

Bénédicte Ramade

 

Le nom du lauréat du Prix Marcel Duchamp 2014 sera annoncé à la Fiac le 25 octobre. www.adiaf.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°673 du 1 novembre 2014, avec le titre suivant : Les quatre nominés du Prix Marcel Duchamp

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