Ventes aux enchères

Les artistes femmes sont-elles sous-cotées ?

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 23 septembre 2014 - 803 mots

Records à la traîne, invendus… Les femmes artistes n’emballent malheureusement pas le marché autant que leurs confrères masculins. Du moins, pas encore…

Dans la salle des ventes de Christie’s, à Londres, un tonnerre d’applaudissements retentit. En ce 1er juillet 2014, l’installation My Bed de l’artiste britannique Tracey Emin, qui avait fait scandale lors de son exposition en 1999 à la Tate Gallery, estimée entre 1 et 1,5 million d’euros, vient de battre un record de l’artiste : 2,7 millions d’euros. Finie, alors, l’époque où les œuvres des femmes ne faisaient pas exploser les estimations des experts ? Pas si vite. Comparons ce prix au record d’un artiste masculin de même nationalité, même génération et même mouvement artistique – celui des Young British Artists –, qui a émergé en Grande-Bretagne dans les années 1990. Par exemple Damien Hirst. En 2007, Lullaby Spring, une armoire à pharmacie métallique contenant 6 136 pilules réalisées et peintes à la main, a atteint chez Sotheby’s une enchère de 14,34 millions d’euros – sans parler de son crâne recouvert de diamants, For the Love of God, qui a atteint les 74 millions d’euros. « À nationalité équivalente et à âge comparable, on observe que les œuvres des femmes se vendent toujours moins cher que celles des hommes », observe le sociologue Alain Quemin, auteur des Stars de l’art contemporain. Notoriété et consécration artistiques dans les arts visuels [éditions du CNRS].

Une stagnation
Le phénomène peut paraître d’autant plus surprenant que, dans les musées et les biennales, les femmes semblent de plus en plus visibles. En France, ce sont des femmes, Annette Messager et Sophie Calle, qui ont représenté la France à la Biennale de Venise en 2005 et 2007, tandis que la jeune Camille Henrot y a remporté le Lion d’argent l’an dernier. En 2009 et 2010, le Centre Pompidou a mis sur le devant de la scène, à travers l’exposition « Elles@centrepompidou », un accrochage des œuvres d’artistes femmes de ses collections, accompagné d’une politique d’acquisitions. Quant au Kunstkompass, un des plus importants palmarès de l’art contemporain établi en fonction de la visibilité des artistes dans les institutions et les revues d’art, il compte depuis 2013 une femme dans son trio de tête : Rosemarie Trockel. Et elle est suivie cette année de Cindy Sherman, en 5e position. « Le progrès depuis le milieu des années 1980 est notable. Les femmes ne représentaient alors que 2 ou 3 % des grands palmarès comme le Kunstkompass ou Artprice, contre 22 % aujourd’hui. Mais ce dernier chiffre n’a pas évolué depuis une dizaine d’années. Il existe bien un plafond de verre, qui touche le monde de l’art comme les autres sphères de la société, par un jeu de mécanismes inconscients », souligne Alain Quemin. Pour réussir sa carrière artistique, d’après les palmarès, mieux vaut donc être un homme américain, plutôt âgé, et vivre à New York.

Des signaux positifs ?
Si la cote d’un artiste est lié à sa visibilité dans les institutions, étrangement, le marché semble plus fâché avec les femmes que ne le sont ces mêmes institutions. Le classement Artprice des 500 artistes les plus chers ne compte que 10 % d’artistes féminines. Alors que le Cri d’Edvard Munch s’est vendu en 2012 à 107 millions de dollars, le record d’enchère pour une femme – Berthe Morisot, pour sa toile Après le déjeuner (1881) – ne s’élève qu’à 9,75 millions, et arrive seulement à la 92e place des enchères les plus élevées entre le 1er juillet 2012 et le 30 juin 2013, selon Artprice. « Les artistes femmes sont très douées. Mais elles ont longtemps été moins nombreuses que les hommes dans le milieu de l’art, qui leur était fermé. Et peut-être sont-elles moins initiatrices des ruptures artistiques au sein des groupes », avance Anne Perret, experte chez Tajan d’une vente dédiée aux artistes femmes en mars 2013, dans laquelle près de la moitié des lots est restée invendue. Mais il est possible, aussi, que ce phénomène de marché s’auto-alimente, les collectionneurs étant plus frileux à l’idée d’investir sur des artistes dont la cote est moins susceptible d’exploser…

De nombreux acteurs, cependant, défendent que les femmes sont en train de gagner la bataille. Pour Jennifer Flay, directrice de la Fiac et de la nouvelle foire OFF(icielle), à la Cité de la mode et du design : « Parmi les artistes présentés à la Fiac et à OFF(icielle), il y a beaucoup de femmes : Sheila Hicks, Claire Tabouret, Alina Szapocznikow, Louise Bourgeois, Agnès Martin… Les artistes femmes ne cessent de gagner en visibilité. Au moins la moitié des grandes galeries dans le monde – Paula Cooper, Gisela Capitain, Chantal Crousel, Victoria Miro, Marian Goodman, Barbara Gladstone, Micheline Szwajcer, Juana de Aizpuru, Ursula Krinzinger, pour ne citer qu’elles –, sont tenues par des femmes. » On veut la croire. 

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Les artistes femmes sont-elles sous-cotées ?

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