Camille Claudel - Bien-aimée, oubliée

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 23 septembre 2014 - 603 mots

L'image est connue. Camille Claudel a dix-sept ans, les cheveux à peine domptés, presque négligés, les lèvres minces, volontiers sévères. Régulier, son visage est moins beau qu’il n’est impassible, certain de son charme, de sa force. La superbe de la jeunesse inentamée. Fragile et hautaine, hautaine parce que fragile. En 1882, Camille, dix-huit ans, rencontre le colosse Rodin, barbe longue et cheveux ras. Lui faune apollinien, elle Daphné licencieuse, désireuse de fuir et d’être ravie. Et cela ne tarde pas. Non qu’elle cède – trop bourgeois –, elle consent. Elle consent à se laisser courtiser et à se laisser aimer, à courtiser et à aimer.

Vers 1884, Camille entre comme élève dans l’atelier du maître, de vingt-quatre ans son aîné. Immédiatement, elle devient plus qu’un objet de désir : un sujet de sculpture (Camille au bonnet). Rapidement, elle devient une idée fixe, une image obsédante, insupportable parce que fuyante. Partie en Angleterre, la jeune Camille fait de Rodin, à son corps défendant, un être de souffrance, étymologiquement de passion : « Ma féroce amie, ma pauvre tête est bien malade, et je ne puis plus me lever le matin. Ce soir, j’ai parcouru (des heures) sans te trouver nos endroits. » La tête, Rodin la perd. Il embrasse le vide, guette la folie. Sa Porte de l’Enfer devient testament amoureux, ses dessins deviennent érotiques. Indolente, jeune, si jeune, Camille fuit moins qu’elle n’échappe – aux désirs du maître, à son pouvoir, à son immense pouvoir. Plus que l’homme, les mots lui manquent : « Il y a toujours quelque chose d’absent qui me tourmente. » Camille veut exposer, Rodin l’expose. Elle veut être aimée, il l’aime. Chiasme infini.

Partir, donc
Mais elle veut plus, beaucoup plus. Que d’être aimée – clandestine – au château de l’Islette, que d’être l’élève de, la muse de. De génitif, elle ne veut pas. Elle ne désire que le je, que ce talent qu’on ne lui reconnaît pas pleinement, la faute à cet amant qui, toujours, prime. Il faut partir, donc. Et Camille part, en 1892, laissant cet homme à ses désirs immenses, à son vouvoiement de circonstance. Camille veut devenir Camille, loin de cet amour impératif. L’Âge mûr (1893-1900) et Sakountala (1886-1905), manifestes de l’Abandon et des Retrouvailles, scellent l’histoire autant qu’ils règlent des comptes. Splendides.

Camille déchoit. Elle se sent persécutée par ce « monsieur Rodin » qui ne veut pas l’épouser, qui lui vole ses idées et son âme. Obèse, ivrogne, édentée, Camille, quarante-huit ans, en paraît soixante. En 1913, elle est internée par sa famille – son autoritaire de mère et son littérateur de frère – à l’asile de Ville-Évrard puis à Montdevergues, dans le Vaucluse. Elle hurle, tape sur les murs, crache sur les siens, crie sa haine de sa famille et de Rodin, ce « huguenot » qui pille son génie. Personne ne répond. Camille est oubliée. Elle traverse deux guerres et s’éteint en 1943. Séquestrée. Trente années de bulletins psychiatriques pour seule éphéméride. Et une photographie : Camille, soixante-cinq ans, sur un banc. Un chapeau et une moue immense, immonde. Un silence. Dévastée, désertée. Sans mots. Tout s’en est allé.

1864
Naissance à Fère-en-Tardenois, dans l’Aisne (02)

1882
À Paris, elle étudie la sculpture auprès d’Alfred Boucher puis d’Auguste Rodin

Vers 1892
Elle quitte Rodin et tente de s’imposer comme une artiste autonome

Vers 1900
Les périodes de paranoïa s’accentuent. L’artiste vit dans une grande solitude et sans grande reconnaissance artistique

1913
Après le décès de son père, sa famille la fait interner dans une maison de santé, d’abord à Ville-évrard puis à Montfavet (Avignon)

1943
Elle décède à l’âge de 78 ans après 30 ans d’internement

« Camille Claudel. Au miroir d’un art nouveau »,
du 8 novembre 2014 au 8 février 2015. La Piscine à Roubaix (59). Ouvert du mardi au jeudi de 11 h à 18 h. Le vendredi jusqu’à 20 h. Samedi et dimanche de 13 h à 18 h. Tarifs : 9 et 6 €. Commissaires : Anne Rivière et Bruno Gaudichon. www.roubaix-lapiscine.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°672 du 1 octobre 2014, avec le titre suivant : Camille Claudel - Bien-aimée, oubliée

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