Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...

La poterie africaine de Jacques Bosser

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 21 août 2014 - 653 mots

Elle est posée, bien en évidence, sur une étagère métallique qui se trouve contre un des murs blancs de son atelier.

Jacques Bosser possède cette poterie africaine depuis l’enfance : elle l’a accompagné dans tous ses déménagements. Il en admire la forme simple et la beauté minimaliste. Cette cruche à eau lui sert de point de repère : elle le relie à une période fondatrice de son engagement dans l’art. À un champ d’énergies profond et puissant auquel il se raccorde pour réaliser ses surfaces abstraites composées de plages colorées, striées çà et là de graffitis et autres signes primitifs. Cet objet en terre cuite provient de la République centrafricaine, qui, à l’époque où Bosser y habitait avec ses parents, entre l’âge de 3 et 9 ans, s’appelait encore l’Oubangui et faisait partie des colonies françaises. Un pays aujourd’hui secoué par des luttes sanguinaires. Mais Bosser admire aussi cet objet pour son côté mystérieux : « J’aime son aspect organique. D’autant qu’il y a une seule et unique petite ouverture ne laissant rien voir de l’intérieur qui reste secret. » Un objet féminin, pourrait-on dire, symbolisant l’Afrique, terre mère des origines, dont la magie continue à agir lorsque, dans un état de quasi-transe, Bosser applique avec ses mains, sur des panneaux en bois, des pigments purs dans un corps à corps énergique. Car cette poterie le renvoie fatalement à ses toutes jeunes années et à la découverte émerveillée d’un monde sauvage, des corps noirs et d’une végétation luxuriante avec des arbres et des fleurs aux couleurs flamboyantes, bleu, jaune ou rouge vif comme la terre là-bas, qu’il aimait déjà faire couler entre ses doigts. Ce fabuleux coloriste ne cherche-t-il pas à retrouver son Éden à jamais perdu, à traduire cette force de vie intacte et saisissante qu’il a, alors, intensément ressentie ? Quoi d’autre à propos de sa poterie fétiche ? : « J’aime le jeu du plein et du vide formé par l’anse. Soit mon regard se porte sur l’objet lui-même, soit il se porte sur le mur blanc et l’espace découpé par la poterie. Ça crée une alternance positif/négatif omniprésente dans mes peintures. » En effet, pour obtenir ses surfaces aux vibrations électriques, Bosser pose des couches de couleurs différentes qu’il fait sécher au fur et à mesure. Il intervient ensuite sur elles en traçant des signes avec de l’eau et ses doigts. L’eau attaque les pigments, creuse le panneau : « Je n’utilise jamais de pinceaux. Mais rien n’est laissé au hasard. Je remplis un protocole précis.

Au fond, je fais de la peinture comme de la gravure. Je dois savoir en amont ce que je laisse en positif et ce que je laisse en négatif. Mais, chaque fois, c’est quitte ou double. » Une écriture à la fois brute et sophistiquée. Des panneaux reliefs qui nous relient à une énergie fondatrice, venue de la nuit des temps. Et dont l’élaboration a amené l’artiste à réaliser, en parallèle, des travaux photographiques eux aussi connectés à l’essence des choses : « C’est justement en cherchant des signes à reproduire, que j’ai commencé à utiliser la photographie au cours de mes voyages en Inde, à Cuba, en Afrique, en Asie. Dans un but d’archivage. Et, au fur et à mesure, ce médium est entré dans le travail. J’ai d’abord juxtaposé des photos en noir et blanc représentant des corps nus à des panneaux colorés. Et puis, la peinture est entrée dans la photographie : je mets en scène des visages ou des corps qui se fondent dans une surcharge de couleurs apportées par les accessoires ou le maquillage. » L’artiste précise : « Mes premiers matériaux sont mes souvenirs.

Je cherche à combler la perte d’un monde de sensations et d’émotions extrêmes, un monde qui à disparu à jamais, parce que j’ai grandi et que l’Afrique a changé. » Mais un monde que l’artiste parvient à restituer de manière fébrile et communicative. 

« Possession »
Maison de la Catalanité, 11, rue du Bastion Saint-Dominique, Perpignan (66), du 29 août au 18 octobre 2014, tél. 04 68 96 05 51,

« Collection 5 »
Galerie Claire Gastaud, 7, rue du Terrail, Clermont-Ferrand (63), jusqu’au 20 septembre 2014, www.claire-gastaud.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : La poterie africaine de Jacques Bosser

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