William Forsythe - Attention, chef-d’œuvre !

Par Céline Piettre · L'ŒIL

Le 21 août 2014 - 334 mots

Lever de rideau sur nuit intégrale. Un plan rectangulaire incliné, immense, tourne sur lui-même, fauchant l’espace.

Des secondes métalliques jouent leur chansonnette sidérale. En bas, au loin, autour, les danseurs, collants noirs sur fond noir, tentent de cohabiter avec cette machinerie giratoire. Ballet de bras nus, émergeant de l’obscurité, comme dissociés du reste du corps. Pas de deux syncopés. Arabesques étirées, poignets cassés. Nous y voilà, chez William Forsythe. En plein dans le mille, avec ce Limb’s Theorem qui inaugure le cycle dédié au chorégraphe américain par le Festival d’Automne 2014. Il s’agit là d’une introduction parfaite à l’œuvre. Tous les ingrédients sont réunis : vitesse, fragmentation, instabilité de l’environnement.

Ingrédients mais pas recette. Forsythe fait dans le tirage unique. Les danseurs improvisent sur scène, réagissant à la lumière, nourris en amont par la danse-contact de Steve Paxton (qui vient d’être primé par la Biennale de danse de Venise). Forsythe est un ovni. Si le vocabulaire reste classique, l’écriture, elle, se grise d’expérimentations. Les muscles tendus à l’extrême, les corps au bord du déséquilibre suent d’une intelligence rebelle. Créée en 1990, quand le chorégraphe dirigeait encore le ballet de Francfort, Limb’s Theorem entre au répertoire de l’Opéra de Lyon en 2005. Cette pièce en triptyque éclabousse tout sur son passage ; le public français ne sait plus où donner de la tête, les yeux saturés d’événements, la pupille éprouvée à force de se rétracter et de se dilater, entre projecteurs aveuglants et lumière tamisée. Dans la deuxième partie, Enemy in the Figure, souvent jouée seule, les danseurs affrontent un mur d’ombres ; une corde court au sol et morcelle la scène. On sait Forsythe lecteur de Deleuze et Foucault, incollable sur Laban. Ici, c’est l’architecte déconstructiviste Daniel Libeskind qui tient les rênes théoriques. Ses dessins inspirent les interprètes. Pas de centre. Pas d’unité corporelle – Forsythe n’y croit pas. L’espace comme le mouvement est constamment déstabilisé. Le désordre semble avoir atteint une sorte de perfection. Réservez vite, ça va être l’hécatombe à la billetterie.

Quoi ?
Limb’s Theorem de William Forsythe

Où et quand ?
Théâtre du Châtelet, du 4 au 6 septembre 2014. Et Maison des Arts Créteil, du 4 au 6 décembre 2014

Comment ?
www.festival-automne.com et www.maccreteil.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°671 du 1 septembre 2014, avec le titre suivant : William Forsythe - Attention, chef-d’œuvre !

Tous les articles dans Création

Le Journal des Arts.fr

Inscription newsletter

Recevez quotidiennement l'essentiel de l'actualité de l'art et de son marché.

En kiosque