Les frères Chapman

Se méfier des apparences

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 23 juin 2014 - 595 mots

À l’issue de la visite de leur exposition à la DHC, à Montréal, réalisée en partenariat avec les Serpentine Galleries de Londres, on s’attend à voir débarquer des jumeaux post-ados grunge et en colère. Au lieu de cela, Jake et Dinos Chapman, respectivement 48 et 52 ans, ont une attitude posée, un peu goguenarde parfois, avec juste quelques tatouages sur la peau.

La rencontre publique organisée la veille du vernissage les a révélés, au public montréalais, réfléchis et maniant l’humour noir. Pourtant, on devine qu’ils ne sont pas doux comme des agneaux. Leur contrôle, leur ambition et leur mécanique témoignent aussi d’un travail plus complexe que le défouloir qu’ils exposent. Ils sont par exemple fatigués de répondre à la sempiternelle question abordant leurs secrets de fabrication, leur façon de travailler ensemble. Tout comme ils balaient toute lecture autobiographique de leur œuvre violente et provocante ; pas de psychologie de comptoir, les terribles frères Chapman n’ont de malade que leur œuvre, profondément troublée. Et l’opus de la fondation privée montréalaise concentre son lot de figurines Ronald McDonald empalées, de mises en scène macabres de l’Holocauste (influencées par les films de zombies nazis dont ils se délectent), et de mannequins revêtus de tuniques crasseuses du Ku Klux Klan. Habituellement, leurs expositions choquent et créent des émois, jusqu’ici tout est calme dans la métropole québécoise.

Auprès de Gilbert and George

Mais ceux qui attaquent les Chapman doivent se méfier, les frères d’origine grecque ont le sang chaud et ont déjà menacé des consœurs britanniques. Tout comme ils ont déclenché les foudres critiques lorsqu’ils ont fait l’acquisition en 2007 de treize aquarelles peintes par Adolf Hitler pour les recouvrir ou les agrémenter d’arc-en-ciel et autres motifs naïfs peu inspirés (Si Hitler avait été hippie, combien nous serions heureux !). Outre la plus-value revendiquée par les frères – acquises 150 000 livres sterling, les toiles furent proposées à 650 000 euros – attestant de la haute opinion qu’ils ont de leur art, c’est l’insolence avec laquelle ils ont compromis des documents historiques qui enragea les commentateurs. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’ils se distinguaient avec pareille pratique. Ainsi l’œuvre Like a Dog Returns to its Vomit Twice (2007), exposée cet été à Monaco dans le cadre de l’exposition « Art Lovers » [lire le cahier des expositions monde], est-elle constituée des quatre-vingts planches des Caprices de Goya, gravures originales retouchées par les deux frères. Les fameux Désastres de la guerre du maître espagnol y sont aussi passés. Depuis les mannequins enfantins mutins, aux visages corrompus par des sexes turgescents, des orifices anaux et vulves béantes, leur « signature » au début de leur carrière en 1991, les têtes brûlées des YBA’s, les Young British Artists collectionnés par Charles Saatchi, cultivent un art dont les outrances ne sont pas toujours très constructives. Heureusement, à Montréal, sont aussi exposés de troublants portraits des XVIIIe et XIXe siècles retouchés, des sculptures primitivistes caustiques, et un film, pastiche de films d’horreur, qui désamorcent l’overdose de mises en scène macabres. En sortant de la DHC, le visiteur a du mal à imaginer Jake en père de famille installé dans l’Oxfordshire et Dinos marié avec deux enfants. Presque aussi lisses que Gilbert et George… dont ils furent les assistants pendant leur formation. L’art des contrastes, assurément.

Repères

1962
Naissance de Dinos Chapman à Cheltenham, en Angleterre

1966
Naissance de Jake Chapman à Londres, en Angleterre

1988-1990
Étudiants au Royal College of Art à Londres puis assistants de Gilbert & George

1991
Début de leur collaboration et création du diorama Disasters of War

2003
Turner Prize

« Jake & Dinos Chapman. Come and See »
Jusqu’au 31 août. DHC/ART à Montréal (Canada). Entrée libre.
Commissaire : Cheryl Sim.
dhc-art.org

« Art Lovers. La collection Pinault inédite »
Du 12 juillet au 7 septembre. Grimaldi Forum de Monaco.
Tarifs : 10 et 8 €.
Commissaire : Martin Bethenod.
www.grimaldiforum.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Les frères Chapman

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