Mues de papier à Avignon

Par Céline Piettre · L'ŒIL

Le 23 juin 2014 - 334 mots

Matter, c’est l’histoire de quatre femmes de nationalités différentes (turque, marocaine, française et suédoise) réunies sur une scène.

Chacune porte une robe en papier qu’elle s’est fabriquée elle-même, épiderme culturel et social bientôt désagrégé par des trombes d’eau. Comme toujours avec Julie Nioche, le spectacle intègre une contrainte qui va forcer le corps à s’adapter. La tension plastique de ses projets – ici le sol blanc progressivement sali de noir telles les bulles de savon de l’artiste Roland Flexner – est une porte d’entrée pour le spectateur mais jamais un but en soi. Son extrême sensorialité (le bruit du papier froissé, le lustre des peaux polies par l’eau) accompagne en douceur les enjeux identitaires et politiques qui agitent le plateau. Condamnées à une mise à nu, les danseuses improvisent, s’improvisent. La princesse glisse sur une flaque, souille sa robe virginale. Le conte de fées dérape. Six ans se sont écoulés entre la première version de Matter (2008) et sa recréation pour ce 68e Festival d’Avignon. La chorégraphe française concrétise un désir longuement mûri de travailler sur une reprise et, plus généralement, sur l’écologie d’un spectacle. « Matter est ma première pièce de groupe, elle a peu tourné par rapport à l’énergie dépensée pour sa production », confie-t-elle. Quel meilleur endroit que la ville de Jean Vilar pour requestionner les conditions d’existence de la danse ? Mais aussi la parité sexuelle. « Il est plus dur d’être chorégraphe quand on est une femme », lance Julie. Un féminisme qui s’exprime concrètement à travers ces quatre trajectoires individuelles chargées par le temps, la vie, les fantasmes de soi. On aime Matter pour cette humanité-là. Fragile, avec ses poches de résistance. Lente comme la mue. En ostéopathie (Julie Nioche a passé son diplôme en 2008), le praticien déverrouille le corps pour en libérer les mécanismes d’autoguérison. Il en serait un peu de même avec Matter : activer les forces de changement présentes en chacun de nous, sans craindre la tension et la perte que tout mouvement occasionne.

Quoi ?
Matter de Julie Nioche

Où ?
Festival d’Avignon

Quand ?
Du 20 au 27 juillet 2014

Comment ?
www.festival-avignon.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Mues de papier à Avignon

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