Pirates du vivant

Par Stéphanie Lemoine · L'ŒIL

Le 23 juin 2014 - 497 mots

Face au changement climatique, deux positions idéologiques s’affrontent. D’un côté, le credo des écologistes selon lequel seuls une réduction de notre empreinte environnementale et le retour à un mode de vie plus respectueux de la nature pourraient limiter la catastrophe.

De l’autre, la foi des progressistes libéraux dans la capacité des sciences et des technologies (et tout particulièrement celles du vivant) à amender les effets délétères de l’anthropocène – si possible en soutenant au passage le juteux marché des biotechs. Et s’il s’agissait d’une fausse alternative ? Si l’on pouvait protéger l’environnement sans pour autant verser dans la nostalgie d’un paradis perdu ou la fascination pour la technoscience ? C’est en tout cas ce que suggèrent les New Weathermen. Imaginé par le designer David Benqué en référence au Weather Underground (une organisation américaine agrégée à la gauche radicale et versée dans l’action directe violente dans les années 1970), ce groupe d’activistes entièrement fictif prône une troisième voie, exactement comme leurs prédécesseurs voyaient dans le tiers-mondisme une manière de tourner le dos à la fois au capitalisme et au socialisme d’État. Leur réponse aux défis du présent ? Elle est à chercher du côté du biopunk, du hacking et du mouvement DIY (Do It Yourself : faites-le vous-même). Autrement dit, dans l’appropriation par le profane des biotechnologies à des fins de perturbation, sinon de subversion du système. Le manifeste qui clarifie la position des New Weathermen (il fallait bien doter le faux groupuscule d’une profession de foi) balaie d’un même mouvement le principe de précaution et le brevetage du vivant, et encourage à conserver, mais aussi à créer et inventer en open source le plus grand nombre possible d’espèces. Si la biologie de synthèse et le tripatouillage de l’ADN sont l’horizon du XXIe siècle, il serait en effet déraisonnable d’en laisser le privilège exclusif aux seules forces du marché. Dans la perspective du design critique auquel il se rattache résolument (le projet des New Weathermen est notamment soutenu par le Royal college of Art où officie Anthony Dunne), David Benqué nous invite à nous faire pirates et à retourner contre le système ses propres armes au gré d’actions directes calquées sur les méthodes de la guérilla. Pour ce faire, il a créé un certain nombre d’« outils », exposés notamment à la dernière édition d’Ars Electronica ou, en mai et juin derniers, dans le cadre du DEAF Festival à Rotterdam. Parmi eux, le #PalmOPS : véritable bombe biologique contre la déforestation, ce dispositif permet de disséminer sur les champs de palmiers une bactérie capable de modifier la composition de l’huile de palme pour la rendre indigeste, et ainsi décourager son utilisation, aujourd’hui massive, par l’industrie agro-alimentaire. Dans la même veine, les objets designés par les New Weathermen invitent à « hacker » les pelouses génétiquement modifiées des golfs ou à « infecter » le diesel. Une manière selon David Benqué d’inciter le public à s’interroger sur les relations complexes entre sciences et idéologie, à défaut d’embrasser la guérilla…

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Pirates du vivant

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