Timbré - S’affranchir - Contre remboursement

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 20 juin 2014 - 726 mots

Timbré
Les philatélistes en rêvaient, La Poste ne l’aura finalement pas fait. Même au XXIe siècle, imprimer des timbres à l’image de L’Origine du monde reste délicat. Certes, il s’agit d’un tableau, le plus célèbre peint par Gustave Courbet. Certes, sa présentation dans le Doubs, l’œuvre étant prêtée par le Musée d’Orsay à celui d’Ornans, constitue un événement. Mais un sexe de femme reste un sexe de femme, et s’affranchir des convenances pour le coller sur une enveloppe serait indécent. Rappelons-nous que le tableau est passé, entre 1866 (date supposée de sa réalisation) et 1995 (date de sa découverte par le public) de mains privées en mains privées discrètement, parfois dissimulé derrière un autre tableau, disparaissant souvent des radars. Ce dont ne se souvenait sans doute plus l’artiste luxembourgeoise qui, le jeudi de l’Ascension, s’est assise devant le tableau encore à Paris pour ouvrir son sexe au regard des visiteurs. L’origine du monde ? Plutôt du mauvais goût en réalisant là une performance gynécologique qui rivalisait avec une autre, donnée quelques jours auparavant devant Art Cologne. En avril, en effet, une jeune artiste s’était présentée nue au-dessus d’une toile pour littéralement y pondre des œufs de couleurs, réalisant ainsi une toile abstraite à la symbolique aussi profonde que le résultat est digne de l’âne Boronali. Pour paraphraser le critique d’art du journal britannique The Guardian : « C’est absurde, gratuit, banal et désespéré. N’importe où ailleurs cela aurait été considéré comme une satire sur la vacuité culturelle moderne. » N’est pas Marina Abramovic qui veut.

S’affranchir
L’art peut-il renverser tous les tabous ? Blasphèmes, scènes de sexe, maltraitance des animaux… La création a parfois bon dos pour abriter les provocations. Dans une société qui a fait tomber les interdits, il faut parfois choquer pour être vu, lu, entendu, voire pour exister. On se souvient de cet autre performeur qui, au Trocadéro, se promenait un coq attaché à son pénis. « Pas de quoi fouetter un chat », dira-t-on. Sauf que, voilà, la société en fouette de plus en plus, des chats. Quand une association ne porte pas plainte contre une exposition, des individus vandalisent le Piss Christ de Serrano. Quand un élu ne dénonce pas le nu dans un spectacle, les réseaux sociaux censurent une photo d’Helmut Newton (que l’on peut difficilement accuser de pédopornographie). Mais il y a plus inquiétant : dans ce climat de frilosité face au nu, au sexe ou à la religion, les institutions optent pour la prudence, voire l’autocensure, afin de ne par courir le risque d’une polémique ou d’un procès, avec les risques de dérives que cela engendre. Que le Musée Courbet interdise l’exposition « Autour de L’Origine du monde » aux moins de 16 ans non accompagnés par un adulte, cela relève du bon sens. Que la RMN-Grand Palais isole les photographies sulfureuses de Robert Mapplethorpe pour lisser l’image du photographe, cela s’appelle, en revanche, trahir une œuvre.

Contre Remboursement
Bilbao et son Musée Guggenheim fait toujours rêver les élus. Ceux d’Arles, où Frank Gehry construit en ce moment la future Fondation Luma, et ceux de Rodez, qui ont inauguré leur Musée Soulages. Lors de la conférence de presse d’ouverture du musée ruthénois, Christian Teyssèdre, président du Grand Rodez, ne s’en est pas caché : Bilbao est un exemple en matière de rayonnement d’une ville et de retombées économiques. La culture ayant un coût, il est normal que les élus attendent des retours sur investissement. À Rodez, le maire s’est même félicité de voir Pierre Soulages devenir « la tête de pont marketing du territoire ruthénois ». Le peintre a apprécié. Mais peut-on lui en vouloir, quand une série d’études est venue, récemment, traduire la culture en retombées économiques ? Ah, la culture… du chiffre. Serait-ce d’ailleurs pour cette raison que le maire de Montpellier, Philippe Saurel, a souhaité abandonner le projet de Musée de la France et de l’Algérie pour ouvrir, en lieu et place, un centre d’art contemporain ? L’édile, visiblement fâché avec les chiffres, a déclaré au Monde : « Que vaut-il mieux pour un centre-ville : un centre d’art contemporain capable d’attirer 800 000 visiteurs par an ou un Musée de l’Algérie qui aura cinq visiteurs par jour ? » Posée en ces termes… « Ah, l’amour de l’art ! », ironisait un tweet à la suite de la déclaration de Christian Teyssèdre. L’amour dollars.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°670 du 1 juillet 2014, avec le titre suivant : Timbré - S’affranchir - Contre remboursement

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