Bande dessinée - Cinéma

Pleins feux sur la BD documentaire

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 19 mai 2014 - 838 mots

À Sète, le festival Image Singulières met à l’honneur la bande dessinée documentaire apparue dans les années 1990 en insistant sur ses liens avec la la photographie.

Pour la première fois, le festival ImageSingulières, qui se consacre à la photographie, met à l’honneur la bande dessinée documentaire dans une grande exposition au Chai Skalli à Sète. Le visiteur a ainsi l’occasion d’admirer des reproductions de planches en grand format, des dessins originaux ainsi que des photographies. Les noms importants sont là : Pino Creanza avec Cairo Blue, Maximilien Le Roy avec Faire le mur, comme Guy Delisle avec ses fameuses Chroniques de Jérusalem. Apparue en force dans les années 1990, la BD documentaire, appelée aussi reportage en bande dessinée, ou BD reportage, a ouvert le champ des possibles du neuvième art en allant sur le terrain du factuel, du documentaire et du réel. Des approches inédites, comme se rendre sur place pour comprendre un événement, lié à l’environnement, à la société, à la guerre ou encore à la politique, ont engendré des genres nouveaux en BD : la biographie, le témoignage autobiographique, le journal de voyage, le récit historique ou la chronique urbaine.

des Reportages en bandes dessinées
Le créateur du genre « BD reportage » est sans aucun doute l’Américain Joe Sacco, journaliste de formation, qui a reçu en 1996 avec Palestine (1993) l’American Book Award. Toujours aux éditions Rackham, mais cette fois-ci en France, l’auteur Séra, né de parents franco-cambodgiens, témoigne, avec son premier album Impasse et Rouge (1995), de la prise du pouvoir au Cambodge par les Khmers rouges en avril 1975. Plus récemment, bande dessinée et photographie documentaire se retrouvent habilement réunies dans Le Photographe (2003-2006). Dans cette série BD, se déroulant notamment en Afghanistan, les bulles du bédéiste Emmanuel Guibert côtoient les photos du photojournaliste Didier Lefèvre. Mais, à dire vrai, la BD de reportage ne date pas d’hier, ce que ne manque pas de rappeler Guibert : « La bande dessinée documentaire a toujours existé. Je trouve que la génération qui nous a précédés et s’est illustrée dans Hara-Kiri a été particulièrement efficace. S’il faut un nom, mettons Cabu. » Une nouvelle revue, La Revue dessinée, dont le premier numéro est sorti à l’automne 2013 et qui est partenaire de l’expo de Sète, est même désormais consacrée à la bande dessinée de reportage. Par le biais de remarquables enquêtes en bandes documentaires alliant le journalisme à l’artistique, cette revue engagée publie chaque trimestre des reportages dessinés sur des sujets aussi variés que Fukushima, le gaz de schiste, la Syrie ou encore le Front national.

le temps, La spécificité du médium BD de reportage
Toutefois, face aux médias mainstream (presse, télé, Internet…), on peut se demander ce qu’apporte de réellement nouveau la bande dessinée documentaire. S’il s’agit d’aller sur le terrain – ce que font effectivement des Sacco, Séra et autres Delisle –, il faut bien avouer que le moindre grand reporter, ou journaliste un tant soit peu investi, le fait depuis belle lurette ! Si nouveauté il y a, c’est certainement du côté du temps pris par un auteur de BD pour traiter un événement et pour affirmer une subjectivité pleinement assumée. Se méfiant de « la tyrannie de l’immédiateté », expression de Paul Virilio pour dénoncer la course frénétique au scoop des fast medias, la bande dessinée, de par sa lenteur de production, prend résolument son temps. Son langage, donnant la part belle aux blancs, ou interstices, qui sont entre les cases, laisse au lecteur la possibilité de s’investir dans la narration : tout n’est pas donné de suite. L’interstice en BD dit tout autant, sinon plus, que le choc des photos. « Le problème de l’information télévisuelle, souligne Olivier Jouvray [l’un des membres fondateurs de La Revue dessinée, ndlr], c’est qu’elle “passe”. Une fois vue, elle disparaît, remplacée par une autre. L’information pour être pertinente doit être comprise, analysée et mémorisée. Elle doit surtout être retrouvée ultérieurement en cas de besoin. C’est ce qui rend la bande dessinée précieuse. Elle prend le temps de l’analyse sur les événements de par le temps nécessaire à sa réalisation. »

Par ailleurs, la subjectivité assumée des auteurs de BD, qui viennent souvent, à l’instar de Marjane Satrapi (Persepolis), s’intégrer en tant que personnages dans le récit imagé pour partager leur expérience personnelle, accroît la dimension humaine du genre : la BD documentaire se place « à hauteur d’homme », assumant émotions, préjugés et erreurs. Pour Gilles Ollivier, co-commissaire de l’exposition « Des histoires dessinées entre ici et ailleurs » au Musée de l’histoire de l’immigration (Paris), « la dimension humaine et subjective est très forte et est revendiquée (Joe Sacco reconnaît que cette critique possible de son travail ne le gêne absolument pas) : il s’agit de témoigner de manière engagée au nom des victimes. Se tenant à distance de la prétendue objectivité journalistique généralement avancée, la BD reportage, en ne prétendant pas à l’impartialité, somme toute impossible, fait des choix au nom de la justice, du côté de ceux qui souffrent. »

« Festival ImageSingulières. 6e rendez-vous photographique »

exposition collective « La bande dessinée documentaire », Chai Skalli, 9, quai Paul-Riquet, Sète (34). Du 28 mai au 15 juin 2014. Commissaire : Gilles Favier.
www.imagesingulieres.com

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Pleins feux sur la BD documentaire

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