Les préparatifs de Bâle

Par Henri-François Debailleux · L'ŒIL

Le 16 mai 2014 - 828 mots

S’il ne devait en rester qu’une, pour beaucoup de galeristes, ce serait Art Basel. Pourtant, participer à la foire représente un coût, en moyenne,de
100 000 euros. Un investissement dans le contexte actuel.

Bâle, c’est chaque année le plus beau musée du monde pendant six jours », indique Daniel Templon, qui y participe depuis 1977. Pour Delphine Guillaud, cofondatrice de la jeune galerie Backslash et qui n’a encore jamais fait Art Basel, « c’est la consécration d’une vie de galeriste ». Jean Frémon de la Galerie Lelong parle, lui, du « label Bâle ». Qu’ils soient galeristes, marchands mais aussi artistes, institutionnels, conservateurs, critiques, tous les protagonistes du monde de l’art sont unanimes pour dire que la foire de Bâle est la plus belle, la plus riche, la meilleure au monde. Elle est aussi la plus importante (avec 285 galeries contre 184 pour la Fiac), l’une des plus anciennes aussi – elle est née en 1970, peu après la foire de Cologne, en 1966. N’en jetons plus, la coupe est pleine de superlatifs. On l’aura compris, Art Basel c’est La Mecque de l’art, ou son festival de Cannes avec ses stars, ses paillettes, ses devises, les palmiers, la mer en moins. Quoique… Beaucoup pensent à juste titre qu’il y a une sorte de magie en juin à Bâle, avec sa lumière et ses soirées tardives au bord du Rhin, son ambiance si particulière. Nul doute que les organisateurs y ont au départ bien réfléchi : programmée en décembre, la manifestation aurait certainement connu une moins bonne fortune. Mais la météo n’est pas l’unique raison du succès. Le microclimat a aussi toujours été économique et financier.
La grande force des organisateurs a été d’appliquer très tôt à la foire le principe de l’œuf et de la poule. Ils ont vite compris que pour avoir les plus importantes galeries, il fallait faire venir les plus gros collectionneurs qui, par leur présence, entraînaient des galeries encore plus prestigieuses. Et pour attirer ces acheteurs, ils sont eux-mêmes allés les chercher et les ont invités. La mécanique était lancée. Par la suite, les directeurs successifs, Lorenzo Rudolf à partir de 1991, Samuel Keller à partir de 1995 et Marc Spiegler depuis 2007, ont toujours su innover. Harry Bellet, qui se définit comme « le croque-mort officiel de la foire » – le journaliste au Monde rédige les nécrologies des « morts de l’année » dans le livre annuel que publie la foire aux éditions JRP Ringier – et qui la couvre depuis 1992, se souvient que cette année-là « 3 000 personnes étaient invitées dans le hall 1 après le vernissage à manger des röstis en écoutant de l’accordéon ». Les temps ont changé. En 2000, la création d’Art Unlimited marque une nette évolution, « c’est la première fois qu’une foire vient empiéter sur le territoire des biennales », remarque le critique Jérôme Sans. Bâle va ensuite intelligemment faire des petits, Art Basel Miami en 2002, puis Art Basel Hong Kong en 2013.

Tous les galeristes (ou presque) ont donc envie d’y être. Ce qui n’est pas acquis, la sélection étant drastique. Et ceux qui y sont ont envie d’y rester. Ce qui n’est pas une rente de situation, les organisateurs veillant chaque année à la qualité des stands. Les exposants font ainsi de gros efforts et gardent leurs meilleures pièces pour l’événement. D’où la qualité générale. La boucle est bouclée. Comme le rappelle Daniel Templon, « si votre stand est mauvais, vous risquez de ne pas être reconduit l’année suivante ». Même si, bien sûr, tout dépend du marchand… Il faut donc être de la fête. Mais participer suppose un coût, et non des moindres. Un stand de 80 m2 revient environ à 70 000 euros (540 euros le m2 nu, plus les spots, cloisons et autres suppléments), auxquels s’ajoutent le transport des œuvres, le déplacement des collaborateurs, l’hôtel, les réceptions, les assurances. Le budget régulièrement évoqué dans une moyenne supérieure atteint ainsi les 100 000 euros. Voire très vite plus. Car s’il faut en être, mieux vaut y être bien placé et en grand. Et là, le prix augmente à chaque marche franchie. Cela n’empêche pas les exposants de retomber généralement sur leurs pieds. Une galerie d’un bon standing peut ainsi dépasser le million d’euros de chiffre d’affaires. Or lorsque l’on sait que, pour certaines, la moitié du chiffre annuel se fait dans les foires…

Aujourd’hui, les collectionneurs, préférant ces rendez-vous, semblent avoir perdu l’habitude de visiter les galeries dans leurs murs : il est essentiel de les y faire revenir en les retrouvant ou en en rencontrant de nouveaux lors de ces grandes messes. En outre, aux retombées économiques directes, s’ajoutent celles de l’image et de la communication. « Le retour sur investissement, à court, moyen et long terme est quasiment garanti », indique Chantal Crousel. Dans un tel contexte, la question qui se pose de plus en plus est bien : to be in Bâle or not to be.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Les préparatifs de Bâle

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