Musée

Pour ou contre la montée en puissance du luxe dans les musées ?

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 15 mai 2014 - 461 mots

Gilles Lipovetsky - Philosophe et coauteur de L’Esthétisation du monde. Vivre à l’âge du capitalisme artiste (Gallimard)
Éric Blanchegorge - Président de l’Association générale des conservateurs des collections publiques de France (AGCCPF), directeur des musées de Troyes

Pour - Gilles Lipovetsky
Confrontés à des finances publiques en baisse, les musées ont besoin de trouver des fonds autres pour pouvoir subsister, se développer. Il ne faut pas penser que l’État pourra les subventionner indéfiniment. Ces partenariats, source de financements, leur permettent de présenter des expositions ambitieuses qu’ils ne pourraient plus réaliser. Par ailleurs, nous sortons d’un long cycle, celui de la modernité, dans lequel la sphère de l’art liée au musée se distinguait radicalement des autres sphères, dans son fonctionnement non marchand et ses hiérarchies. L’avancée de la culture démocratique mine la hiérarchie entre l’art et l’art appliqué, l’art et le commerce. L’important n’est pas la sphère car, dans l’art comme dans le commerce, il peut y avoir des choses détestables ou admirables. Dans un monde qui ambitionne l’égalité, la hiérarchie doit se prouver. Ce n’est pas parce que ce sont des expositions liées au luxe qu’elles ne valent rien. Regardons le propos, les œuvres et ce que cela produit. Cette diabolisation moderniste du monde des marques, du commerce et de la publicité ne correspond plus à notre époque où les interconnexions et hybridations entre Musée et entreprises se développent. Le capitalisme produit des choses horribles, mais il produit aussi des merveilles, dans le cinéma entre autres qui est pourtant une industrie.

Contre - Éric Blanchegorge
Si travailler avec des fondations d’entreprise ou des entreprises dans un cadre de mécénat sans interférence ou dans le cadre d’expositions relatives aux arts de la mode, aux arts décoratifs ou industriels est tout à fait légitime, l’AGCCPF ne peut pas être favorable aux publi-expositions comme on peut en voir dans des musées à l’étranger et dans quelques établissements français. Ce type de manifestations – qui sont des promotions d’une marque, d’un produit d’une entreprise – est légitime en soi, mais pas dans une institution culturelle publique. Il y a confusion des genres : confusion qui suscite des interrogations tant du personnel de l’institution que des visiteurs, et des critiques. On n’est pas dans un lieu dédié au commerce. Des lieux comme le Grand Palais, construit pour l’Exposition universelle, ont toutefois une vocation polyvalente ; on ne les a pas construits pour faire exclusivement des expositions Picasso. Le fait que ces institutions culturelles aient pris une couleur plus culturelle avec le temps et que leurs expositions soient imitées est la rançon de leur succès, comme c’est le cas des marques confrontées à la contrefaçon. À elles d’être vigilantes sur les propositions qu’elles acceptent pour ne pas causer le trouble aussi préjudiciable pour elle que pour l’entreprise.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Pour ou contre la montée en puissance du luxe dans les musées ?

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