Musée

Les musées sont-ils à vendre au luxe ?

Par Christine Coste · L'ŒIL

Le 15 mai 2014 - 1612 mots

Très présente dans le champ de l’art, la marque Hermès fait, via sa Fondation, un pas supplémentaire dans le mécénat en coproduisant la prochaine grande exposition du Centre Pompidou-Metz : « Formes simples ». Une première en France où les mentalités évoluent.

Le partenariat est né de la rencontre de Jean de Loisy, qui n’avait pas encore été nommé à la présidence du Palais de Tokyo, avec Pierre-Alexis Dumas, président de la Fondation d’entreprise Hermès, et Catherine Tsekenis, sa directrice. De part et d’autre, on ne se connaissait que de nom ; c’est le sculpteur Emmanuel Saulnier qui a été à l’origine de leur première rencontre que chacun, dans un premier temps, a placée sur l’échange de leurs projets respectifs à l’état d’intention : celui de Pierre-Alexis Dumas et Catherine Tsekenis de faire une exposition qui allierait à la fois l’objet d’usage et l’art contemporain sur cette idée de facture, d’objet poli par le temps, par la main, fidèle aux valeurs défendues par la marque, et celui de Jean de Loisy, à propos de la question des formes épurées déjà en discussion avec Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz. Puis, l’idée du partenariat a cheminé. Au financement moitié-moitié s’est ajouté un principe de base voulu de part et d’autre : aucune pièce ni objet de la maison Hermès dans l’exposition, ni ingérence dans le propos et la sélection d’œuvres, mais, en revanche, une participation au propos de l’exposition.

La coproduction n’est toutefois pas une nouveauté pour la Fondation d’entreprise Hermès déjà engagée sur ce modèle avec le Théâtre de la Cité internationale dans le cadre de son programme « New Settings ». C’est le principe qui prévaut pour « Formes simples », si ce n’est qu’une discussion sur les principes de l’exposition – l’art, la nature et la main – a été établie de concert avant que Jean de Loisy ne planche sur le sujet et que le mécène suive son cheminement et son choix des œuvres « dans une dialectique passionnante », souligne Catherine Tsekenis. « Nous avons ensuite uni nos forces sur la communication, le graphisme et l’itinérance de l’exposition. » « La fondation n’a pas de murs, poursuit-elle. Ce qui nous donne les moyens d’être aux côtés de partenaires culturels, comme l’an dernier avec l’exposition Giuseppe Penone au Château de Versailles ou de coopérer avec des spécialistes de haut niveau comme Jean de Loisy. » Et la directrice de la Fondation de préciser que ce type de coopération sera renouvelé ailleurs. S’agit-il dès lors pour le Centre Pompidou-Metz de produire une exposition dans un contexte économique difficile ? On peut le présumer. « Si la Fondation Hermès n’avait pas été là dès le début, nous n’aurions pas fait l’exposition », précise Laurent le Bon.

Des frontières qu’il faut souvent clarifier
Le temps, pas si lointain, où les liaisons musées-entreprises (ou fondations d’entreprise) étaient inenvisageables, appartient donc à une autre époque. Le gel ou la baisse des subventions du ministère de la Culture et des collectivités territoriales d’un côté, les coûts d’assurances et de transport des œuvres de l’autre, ont conduit les responsables des musées à regarder autrement le mécénat, qui a lui-même fortement évolué. Henri Loyrette, le nouveau président de l’Admical, association regroupant les entreprises mécènes, ne le voit d’ailleurs pas d’un mauvais œil : « Je suis depuis longtemps convaincu que le mécénat est essentiel pour les projets d’intérêt général, et pas seulement en tant que ressource financière, explique l’ancien président-directeur du Louvre. Les mécènes tirent les projets vers le haut. Et lorsque l’on a des projets forts, on trouve toujours des mécènes. » Et Henri Loyrette de rappeler que la part du montant des subventions publiques et du mécénat dans les ressources du musée à son arrivée en 2001 était de 75 % et 8,3 %, contre 48 % et 17,66 % lors de son départ, douze ans plus tard. Évolution qui n’a pas été exempte de critiques… Dans un pays où les mentalités ont été formées par un État jacobin à ce que la culture soit de la compétence de la puissance publique, l’union de la culture – et donc du public – et du privé continue à sentir le soufre. Les suspicions ont d’autant plus redoublé que les expositions ou événements mettant en scène une marque de luxe foisonnent et brouillent les identités et la distribution des rôles. Il suffit de se remémorer les polémiques autour des expositions Louis Vuitton au Musée Carnavalet en 2010 ou de « La petite veste noire » proposée par Chanel au Grand Palais en 2012.

Les critiques formulées à l’encontre du Palais de Tokyo se sont inscrites dans la même veine. Entre les expositions initiées et produites par le centre d’art et les espaces loués pour des expositions montées par des marques de luxe ou des fondations d’entreprise, difficile de s’y retrouver. Y compris, parfois, pour ceux qui louent ces espaces, comme la Fondation Hermès dont l’exposition « Condensation » au Palais de Tokyo l’an passé fut programmée dans la foulée de la campagne de Chanel autour du parfum N° 5. Une confusion qui ne se reproduira plus pour Hermès dont la prochaine exposition de ce genre se déploiera ailleurs qu’au Palais de Tokyo. Du côté de l’institution parisienne, « cette expérience a fait évoluer les équipes sur l’attention à porter à l’attribution des espaces. Nous réfléchissons aussi à une charte graphique qui permettrait de clarifier ce que nous produisons et ce que nous accueillons », dit Jean de Loisy, son président.

Des réflexions sont également en cours au Grand Palais dont le financement des activités scientifiques et de service public dépend, comme le Palais de Tokyo, des revenus de ses activités commerciales. La programmation concomitante des expositions « Cartier », lancée et organisée par Laurent Salomé, directeur scientifique de la RMN-Grand Palais, et « Miss Dior », produite par la maison Dior, a causé quelques embarras. Particulièrement du côté des conservateurs du patrimoine que sont Laurent Salomé et Laure Dalon, cosignataires de l’exposition « Cartier », qui ont dû expliquer que leur propos n’était pas rattaché à une commande du joaillier, mais à une démarche d’historien. « Ce ne sont pas nos expositions qui deviennent commerciales, mais les événements commerciaux qui ressemblent de plus en plus à des expositions », se défend Salomé.

Le Grand Palais appelé à plus de vigilance
Certes, après « Bulgari, 125 ans de magnificence italienne », montée par l’entreprise en 2011 sous la grande nef, on ne pouvait que s’interroger légitimement sur l’autonomie de cette programmation organisée dans le Salon d’honneur du Grand Palais, hors des espaces habituels dévolus aux grandes expositions d’art. Face à ces éléments de suspicion, Laurent Salomé exprime « le regret de ne pas avoir fait Cartier dans les traditionnelles galeries nationales, ce qui eut été symboliquement plus clair, bien que le salon d’honneur nous ait permis de concevoir une scénographie originale ». Résultat de ce fâcheux télescopage, une vigilance accrue sur le calendrier de programmation et une organisation orientée plus vers une charte graphique que vers une répartition géographique des manifestations selon leur nature, au regard de la difficulté d’attribuer une seule et unique fonction à telle ou telle partie du bâtiment.

Au Musée des arts décoratifs, le positionnement vis-à-vis des entreprises est en revanche clair : « On ne peut pas les évacuer. Le musée a été fondé par les entreprises au XIXe pour défendre le monde de l’entreprise », rappelle Olivier Gabet, directeur du musée. « Le problème n’est pas l’argent. C’est le sujet et la manière dont on le traite. Nous travaillons à un repositionnement de nos sujets d’expositions », et l’institution de réfléchir elle-aussi à une charte du mécénat.

La politique de clarification des musées de la Ville de Paris
Le besoin de clarifier pour ne pas nuire aux lieux d’exposition concerne également les musées de la Ville de Paris où la situation économique diffère toutefois. La tradition du mécénat y est limitée (3 % à peine du budget global), ses établissements étant subventionnés à 80 % par la municipalité et la billetterie. Mais bien que Delphine Lévy, la responsable des musées de la Ville de Paris depuis deux ans, dise n’avoir « pas eu le sentiment d’avoir eu besoin de redresser une situation », chaque établissement a été conduit à établir des projets culturels et scientifiques en lien avec ses collections, ce qui n’a pas toujours été le cas. « Les musées ne doivent pas être le réceptacle de projets extérieurs ; ils doivent au contraire proposer une programmation qui fait sens », souligne-t-elle. Le fort renouvellement des directeurs de musée est venu en appui de cette politique.

Des expos du type Yves Saint Laurent n’auront ainsi plus lieu au Petit Palais dirigé depuis 2012 par Christophe Leribault. « Le Petit Palais n’est pas le musée de la mode, c’est Galliera. Ce n’est pas un jugement sur l’exposition Yves Saint Laurent, mais une volonté de développer une programmation cohérente avec nos collections et les périodes que l’on couvre » ; une manière aussi d’éclaircir l’image du musée et « d’éliminer d’entrée de jeu des propositions trop business ou politique », reconnaît-il. « Le Petit Palais est un élégant édifice, l’exposition "Paris 1900" marche bien, et réveille des envies, des propositions de la part d’entreprises. Mais nos refus ne sont pas épouvantés et ne ferment pas pour autant la porte au mécénat. » Dans l’union musée-entreprise, chacun prend de plus en plus la mesure de part et d’autre des enjeux d’image qui se jouent. La charte du mécénat actuellement concoctée par le ministère de la Culture aborde la question sans pour l’instant révéler encore ses intentions toujours bloquées par le ministère des Finances.

« Formes simples »
Du 13 juin au 5 novembre. Centre Pompidou-Metz (57). Ouvert le lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 11 h à 18 h, le samedi de 10 h à 20 h et le dimanche jusqu’à 18 h. Tarifs : entre 7 et 12 €. Commissaires : Jean de Loisy, Sandra Adam-Couralet et Mouna Mekouar
www.centrepompidou-metz.fr

« Hubert Duprat »
Jusqu’au 12 juillet. La Verrière Hermès, Bruxelles (Belgique). Du lundi au samedi de 11 h à 18 h. Entrée libre. Commissaire : Guillaume Désanges
www.fondationdentreprisehermes.org

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Vue de l'exposition « Cartier. Le style et l'histoire », dans le salon d'honneur du Grand Palais, Paris, en 2013. © Photo : Pierre-Olivier Deschamps/Cartier.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Les musées sont-ils à vendre au luxe ?

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