Question d'actu

Philippe Walter : Pour une chimie de l'art ?

Par Isabelle Manca · L'ŒIL

Le 15 mai 2014 - 647 mots

La chaire d’innovation technologique Liliane Bettencourt invite chaque année un professeur au Collège de France pour présenter un enseignement scientifique à la pointe de la recherche.

En quoi votre approche d’Art-Chimie est-elle innovante ?
Philippe Walter Les méthodes d’analyse chimique et leurs instruments ont considérablement évolué en quelques années ; aujourd’hui, on peut analyser une œuvre sans effectuer de prélèvement et sans la déplacer. Avec mon équipe, nous concevons et construisons des instruments d’analyse miniatures, ce qui nous permet d’être un véritable laboratoire mobile. L’enjeu est d’avoir des appareils de plus en plus petits et performants afin d’être aussi souples qu’un photographe ou un historien de l’art qui vient étudier une œuvre en détail. L’innovation technologique réside aussi dans la finesse d’analyse de nos appareils grâce auxquels nous pouvons non seulement analyser les pigments présents sur un tableau, mais aussi comprendre la technique de l’artiste. Ces analyses sont complexes et nécessitent des recherches qui prennent en compte de multiples dimensions de l’œuvre, elles mêlent différentes approches et nous ramènent dans l’atelier en nous révélant le nombre de passages du pinceau, la durée d’exécution d’un tableau, ou encore la manière dont sont réalisés les mélanges ou la dégradation des couleurs d’origine. À travers l’analyse de ces différentséléments, on arrive à retracer l’histoire matérielle d’une pièce et à porter un autre regard sur l’œuvre.

Dans vos cours au Collège de France, vous mettez l’accent sur l’interdisciplinarité, pourquoi ?
Les nouvelles recherches viennent aujourd’hui de l’interdisciplinarité ; c’est devenu quelque chose d’évident dans tous les domaines, sauf en histoire de l’art où il y a encore une approche très monographique. L’interdisciplinarité est difficile à mettre en place, il faut arriver à parler le même discours entre spécialistes de différentes matières, pour avancer réellement ensemble, et non pas comme une juxtaposition de points de vue différents qui convergent de temps en temps. Dans les musées, on a trop voulu mettre la barre vers la conservation et la restauration en délaissant la recherche sur la matérialité des œuvres étudiée pour elle-même. Je milite clairement pour un croisement de regards. L’enjeu de la recherche chimique sur les œuvres d’art est de présenter une dimension intellectuelle complète, qui fera qu’à terme l’historien de l’art, le conservateur, le sociologue trouveront tout à fait logique de travailler main dans la main avec un chimiste. Car c’est en mélangeant tous ces concepts que l’on réussira à raconter une histoire de l’art la plus complète possible.

Vous avez organisé des expositions, notamment « Le bain et le miroir » en 2009 au Musée national du Moyen Âge. Avez-vous d’autres projets avec les musées ?
Non, pas pour l’instant, même si j’aimerais beaucoup réaliser une exposition sur ce croisement de regards. Mais c’est de plus en plus difficile de monter des expositions, alors croiser art et science constitue encore une difficulté supplémentaire, car il y a toujours une certaine distance envers ces problématiques de la part des musées français ; cela ne fait pas encore vraiment partie de leur culture. Aujourd’hui, parallèlement à mes recherches en cours depuis plusieurs années sur Léonard de Vinci et Poussin, j’ai commencé un nouveau projet avec Charlotte Ribeyrol, spécialiste de littérature britannique et d’esthétique. À travers une approche mêlant texte, matière et technique, nous essayons de démontrer comment les peintres anglais ont interagi avec la société technique, culturelle et scientifique du XIXe siècle. 

« Dans les couleurs, il y a un tripotage comme dans les vins. Comment pouvoir juger juste lorsque comme moi on ignore la chimie ? »
Vincent Van Gogh à son frère Théo, 1890.

Repères

Physicochimiste, Philippe Walter a dirigé jusqu’en 2011 l’équipe de recherche CNRS du Centre de recherche et de restauration des musées de France. Aujourd’hui, il dirige le Laboratoire d’archéologie moléculaire et structurale de l’Université Pierre et Marie Curie et du CNRS. Il est professeur invité sur la chaire d’innovation technologique Liliane Bettencourt au Collège de France.

Les 26 et 27 juin

Se tient un colloque dédié à « l’analyse chimique : histoire et innovations ». Programme et rediffusion des cours précédents sur www.college-de-france.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Philippe Walter : Pour une chimie de l'art ?

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