Fête, vite !

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 15 mai 2014 - 737 mots

Fête
Ce qui devait être « l’occasion d’une fête inouïe » s’est transformé en l’espace de quelques jours, selon les mots de Claude Picasso, fils de Pablo Picasso, en « Berezina ». C’est désormais acté : le Musée Picasso, fermé pour travaux, ne rouvrira pas ses portes au mois de juin, comme prévu. Sa réouverture est reportée au mois de septembre, « for now », raille le New York Times, « pour le moment ». Difficile de blâmer le journal américain, tant il s’agit, il est vrai, d’une histoire à rebondissements digne du Père Ubu. Après des articles à charge contre la directrice du musée, Anne Baldassari, que l’on dit autoritaire, on a appris, avec stupéfaction, que le musée ne rouvrirait pas à la date annoncée faute de gardiens, le ministère de la Culture n’ayant pas assuré leur recrutement dans les temps. Que nenni ! rétorque la Rue de Valois, où l’on préfère invoquer le retard de livraison du chantier. Mais non, « celui-ci a été livré à la date prévue », s’est alors emporté Claude Picasso dans Le Figaro – avec le soutien de l’architecte –, qui a l’impression « que la France se fout de [son] père et aussi de [sa] tête ! » Si notre enquête sur « l’héritage Picasso », en octobre dernier, révélait que la France pourrait ne pas aimer l’artiste (« sauf pour de mauvaises raisons : les femmes, le sexe, l’argent… », disait-on), de là à s’en « foutre », tout de même ! Les mots ont en tout cas été assez forts pour être entendus depuis Matignon, où Manuel Valls a reçu le descendant de l’artiste et administrateur de la succession Picasso – celui-ci menaçait d’annuler les dernières donations. « Entre deux fils de peintres espagnols, on aura peut-être des relations plus apaisées », ironisait alors Le Monde. Et, en effet, « ça s’est passé bien gentiment », a déclaré Claude à la suite de son entrevue avec le Premier ministre. Tant mieux, car le lendemain, nouveau rebondissement : un « voisin » du musée, le réalisateur François Margolin, déclarait cette fois qu’une partie des travaux avait été réalisée sans permis de construire et qu’une plainte a été déposée : « C’est cet obstacle juridique qui est peut-être la véritable raison du nouveau “retard” de la réouverture. » Si cela était confirmé, la date du mois de septembre serait vraisemblablement remise en cause pour la réouverture du Musée Picasso qui, à défaut d’une « fête inouïe », se transformerait alors définitivement en un spectacle. Lamentable celui-là.

Vite
Ce qui n’était pas possible hier au Louvre le devient aujourd’hui à Fontainebleau. Si la France avait refusé que des salles du Louvre portent le nom du fondateur des Émirats arabes unis (contrairement aux accords qui la liaient pourtant à ces derniers), le petit théâtre impérial du château de Fontainebleau, construit en 1857 par Napoléon III pour Eugénie, se voit désormais rebaptisé en Théâtre Cheikh Khalifa Bin Zayed al-Nahyan. Contre les 5 millions d’euros de travaux de rénovation, le ministère a donc cédé à cet usage américain qui consiste à donner le nom de son bienfaiteur à une salle d’un musée ou d’un château. Une simple entorse à la règle ? En réalité, le théâtre bellifontain est le signe d’un changement plus profond en matière de mécénat, en France. Car, dans le même temps, le Centre Pompidou-Metz inaugure ce mois-ci « Formes simples », une exposition entièrement mécénée et coproduite par la Fondation d’entreprise Hermès. Si les marques financent déjà des expositions sur leur propre histoire ou leurs produits, récemment Cartier ou Chanel, c’est la première fois que l’une d’entre elles coproduit une exposition d’histoire de l’art, sans même apparaître dans le propos. Il y a encore peu, cette ingérence du privé dans le public aurait provoqué un tollé. Aujourd’hui, dans un contexte de baisse budgétaire et d’évolution des pratiques, voire des mentalités, cette initiative passera quasiment inaperçu. Faut-il le déplorer ? Certainement pas, tant cette évolution semble inéluctable et tant le partenariat entreprise-musée peut, comme le dit le philosophe Gilles Lipovetsky, « produire des merveilles » – ce sera probablement le cas de «Formes simples ». Mais il ne s’agit pas pour autant de s’en féliciter.
Les objectifs poursuivis par les marques et les musées sont différents, sinon divergents, et des dérives sont possibles.
Il convient donc désormais de définir de nouvelles règles en matière de mécénat. C’est important et urgent.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°669 du 1 juin 2014, avec le titre suivant : Fête, vite !

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