Dresde (Allemagne)

L’extase et l’excès

Staatlichen Kunstsammlungen. Jusqu’au 10 juin 2014

Par Colin Lemoine · L'ŒIL

Le 16 avril 2014 - 303 mots

Dans la Naissance de la tragédie (1872), un manifeste esthétique qu’il rédigea à l’âge de 28 ans, Nietzsche opposa distinctement deux tendances contraires, deux sensibilités antinomiques : l’apollinien et le dionysiaque.

La première, placée sous le signe d’Apollon, se caractérise par sa mesure, son ordre et son eurythmie, tandis que la seconde, sous le blason de Dionysos, n’est autre que le règne de l’instable, de la fougue et de l’excès. Le soleil contre la tempête, la raison contre la pulsion, la clarté contre l’ivresse. Admirable, la présente exposition dresdoise explore la seconde avec force, depuis l’Antiquité grecque, avec sa céramique attique que peuplent des figures priapiques, jusqu’aux estampes de Picasso où s’ébattent faunes, minotaures et Dianes lascives. Les cimaises, dont l’audacieuse couleur rouge évoque la pulpe du désir comme la sang du combat, abritent certains chefs-d’œuvre trépidants, parmi lesquels Bacchus et Ariane (vers 1660) de Caesar Boetius Van Everdingen, qui voit la fièvre bachique s’emparer de cette femme dont la chair, sous le pinceau virtuose du peintre, tressaille et s’empourpre.

L’ordre et le calme ne sont plus. Là, tout n’est que beauté, luxe et volupté. Les couleurs tonitruent, les lignes virevoltent, les corps s’enchevêtrent. Faunes et fauves deviennent les corrupteurs de ce monde hyperbolique, de ce règne de la multitude que Garofalo et Corinth savent retranscrire à merveille. Plus de silence, plus de pause. Le cri et le rire, la syncope et le hiatus, la liesse et l’allégresse sont désormais partout et enfantent tout un bestiaire de formes originales car archétypiques de l’imagerie dionysiaque (askos et syrinx notamment). Un bestiaire savant dont l’abécédaire qui clôt opportunément le catalogue permet de jouir pleinement. Réjouissant, donc, que ce parcours serré, qui, plutôt que de multiplier les œuvres, au risque de diluer le propos, quintessencie son exploration pour n’en retenir que le nectar. Bachique, là encore.

« Dionysos, intoxication et extase »

Staatlichen Kunstsammlungen Dresden, Semperbau am Zwinger Theaterplatz 1, Dresde (Allemagne)
www.skd.museum

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : L’extase et l’excès

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