Art contemporain

Questions d’ego

Par Marie Zawisza · L'ŒIL

Le 15 avril 2014 - 759 mots

Claire Fontaine
Pourquoi avez-vous décidé d’effacer vos individualités derrière le nom de cette artiste fictive : Claire Fontaine ?
L’enjeu, lorsqu’on change de nom, n’est pas tant celui de gommer son individualité, mais de se donner un nouveau nom. Tout d’abord, personne ne choisit son propre nom, c’est quelque chose que nous recevons en héritage de la famille (plus précisément du père), il s’agit d’une convention et, dans la vie courante, nous n’avons aucun problème à conserver nos noms de naissance. En revanche, lorsqu’on crée un espace de désubjectivation, où l’on peut devenir autre que ce que l’on est, soit pratiquer la liberté, ce ne serait pas exact de dire que cet espace n’est que l’addition des noms qui le forment, il est autre chose, et il faut bien pouvoir le nommer. Claire Fontaine est un nom propre féminin et francophone, qui pourrait appartenir à une seule personne, il se réfère au ready-made de Duchamp intitulé Fontaine et à la série de travaux de Nauman intitulée Portrait de l’artiste en fontaine, car nous sommes très intéressés par les conséquences que le ready-made a non seulement sur les objets, mais aussi sur les sujets.
Créé en 2004, représentant d’un courant de l’art socioculturellement engagé, Claire Fontaine est un collectif formé par deux artistes, qui ont tiré leur nom d’une marque de cahiers d’écoliers et qui se cachent derrière des portraits anonymes : James Thornhill et Fulvia Carnevale.

Hervé di Rosa
Vous avez fait partie d’un groupe, la Figuration libre, avant de mener une carrière solo. Comment a évolué votre rapport à votre image ?
Aujourd’hui, les artistes – Jeff Koons ou Damien Hirst – sont de véritables vedettes. Mais, dans les années 1980, l’art contemporain était très conceptuel et fermé. Fasciné par les stars de rock, je voulais faire pareil dans l’art. Nous étions quatre copains, passionnés par les cultures populaires. En formant un groupe artistique, la Figuration libre, nous étions plus forts. Voir mes photos dans la presse satisfaisait mon ego de jeunesse. Mais aussi, mon corps prolongeait mon œuvre, en manifestant que les artistes n’étaient pas forcément cultivés et âgés. Cependant, notre groupe a éclaté au bout de 4 ans, à cause des luttes d’ego, et parce que nos œuvres divergeaient. En vieillissant, rassuré sur mon succès, j’ai compris qu’un artiste doit se battre contre son ego pour créer. Cependant, aujourd’hui, on veut rencontrer « l’artiste », et les magazines préfèrent les photographies de moi « en situation », plutôt que mes œuvres seules… Je le regrette, même si je dois jouer le jeu.
Né en 1959, Hervé Di Rosa fut l’un des principaux représentants du mouvement français de la Figuration libre. Fondateur du Miam, à Sète, il travaille aujourd’hui avec des artistes du monde entier.

Nathalie Brevet et Hughes Rochette
Pourquoi préférez-vous cosigner vos œuvres ?
Nous sommes surpris que les gens s’étonnent encore de voir des artistes créer à quatre mains. Comme si une signature devait encore être uniquement un individu, un « ego »… Or, aujourd’hui, les supports sont multiformes, et les œuvres se créent souvent dans un dialogue entre plusieurs acteurs. Nous nous connaissions depuis longtemps avant de travailler ensemble, l’un graphiste (Hughes Rochette), l’autre sociologue urbaniste (Nathalie Brevet). Nous échangions beaucoup sur le sujet de la mobilité. C’était au début des années 2000. Le collectionneur Éric Fabre nous a encouragés dans cette démarche. Cela a été un de nos premiers projets. Depuis, toutes nos œuvres sont le résultat d’une discussion. C’est extrêmement enrichissant. Pourquoi donc être artiste solo ?
Duo d’artistes, Nathalie Brevet et Hughes Rochette réalisent un travail commun depuis leur association en 2001.

Space Invader
Pourquoi cherchez-vous à rester invisible ?

J’ai toujours pensé que l’anonymat enrichissait ma démarche artistique en lui insufflant une part de mystère. J’ai adopté pour pseudo Invader, « envahisseur », car il sonne comme un personnage de science-fiction. Ce choix prolonge mon travail, en donnant une couleur au projet : Invader travaille en milieu urbain, à la nuit tombée, lorsque la population est endormie. Il apparaît masqué et nul ne connaît son visage… Il y a là beaucoup de l’univers des super-héros ! Il s’agit aussi, sans doute, d’une façon de piquer la curiosité. Les Residents ou les Daft Punk l’ont fait avant moi dans la musique. Cela permet aussi de s’effacer pour mettre son travail au premier plan. Car j’aime ce paradoxe : être reconnu sans être connu.
Artiste urbain né en 1969, Space Invader a étudié aux Beaux-Arts de Rouen. Artiste « anonyme », il sème ses mosaïques dans les villes du monde entier.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°668 du 1 mai 2014, avec le titre suivant : Questions d’ego

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