Edito

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 19 mars 2014 - 734 mots

ART
Saviez-vous que la majorité des portraits peints, dessinés et photographiés présentent aux spectateurs leur côté gauche ? C’est l’observation que fait Sam Kean dans un ouvrage à paraître en mai aux États-Unis (The Tale of the Dueling Neurosurgeons, « L’histoire des conflits entre neurochirurgiens). Selon lui, 60 % des portraits conservés dans les musées occidentaux regardent vers la droite, à l’instar du mannequin Louise Bertaux photographié par Serge Lutens en couverture de L’Œil ce mois-ci. Ce chiffre grimperait même à 90 % s’agissant de la représentation du Christ sur la Croix. Pour l’auteur américain, qui s’est fait une spécialité des ouvrages scientifiques grand public, l’explication est à chercher du côté du cerveau qui, comme tout le monde le sait, est divisé en deux hémisphères : l’hémisphère gauche (lieu du langage) et le droit (siège des émotions). Or, chaque hémisphère pilotant la partie opposée du corps, nos émotions préféreraient montrer aux artistes notre côté le plus expressif : le gauche. Une nouvelle théorie de l’art ?

RAT

« Il y a une exposition au Centre Pompidou-Metz sur les paparazzis, comme si cela pouvait devenir un art ; je trouve cela extrêmement inquiétant. » La problématique soulevée sur RTL par Mazarine Pingeot, la fille du président François Mitterrand dont l’existence avait été révélée en 1994 par un paparazzi, est sans doute mal posée. À la question : la photographie paparazzi est-elle un art ? Nous répondons avec William Klein, interviewé par Le Figaro : « Est-ce que je me souviens d’une photo “réussie” ? Non. Est-ce que l’une de leurs photos m’a touché d’un point de vue artistique ? Non. Est-ce que j’applaudis leur pratique ? Non. » Non, trois fois non !, la photo paparazzi n’a rien à voir avec l’art, et l’exposer à Metz n’aura pas pour conséquence de la légitimer comme tel. Que Mazarine Pingeot se rassure : Rostain et Mouron (pour citer les plus connus) ne deviendront pas les égaux de Picasso, ni de Cartier-Bresson. Car, comme le montre l’enquête que publie L’Œil ce mois-ci, la photographie excède l’art. Elle fait imploser ses catégories (le chef-d’œuvre, l’auteur…), pour en considérer de nouvelles, comme les pratiques sociales collectives. Les Tumblr, Instagram et autres snapshots pris
via son téléphone mobile ne sont pas plus de l’art que Sébastien Valiela, qui a « planqué comme un rat » (c’est ainsi que les paparazzis se nomment) pour piéger Mitterrand et sa fille, est un « artiste ». Ce qui ne signifie pas que le musée n’a pas pour vocation à étudier un phénomène social et culturel, voire une « esthétique », même paparazzi ! Et c’est bien dans ce sens qu’il faut voir l’exposition messine, comme il faut lire notre enquête qui mêle Cartier-Bresson, Caron et Valiela, sans toutefois jamais les confondre. Parce que le « rat » n’a d’art que l’anagramme.

RARE
D’art, en revanche, il est question dans l’exposition « Van Gogh/Artaud, Le suicidé de la société »
au Musée d’Orsay. Et quel art ! De mémoire de conservateur, Paris n’avait pas accueilli autant d’œuvres de l’artiste depuis une éternité : quarante-six toiles exactement, quarante-sept si l’on prend en compte le Champ de blé aux corbeaux projeté dans une salle au sein de l’exposition. Pourquoi « projeté » ? Parce que le tableau, chef-d’œuvre du Van Gogh Museum d’Amsterdam, n’a pas fait le voyage à Paris. Une lacune que comble ingénieusement le musée, qui a fait appel au savoir-faire du Lab de l’Institut culturel Google. Partenaire du Van Gogh Museum dans le cadre du Google Art Project, le Lab a littéralement mis en scène un voyage, fait de zooms et de travelings, dans le Champ de blé aux corbeaux, sur une lecture du texte d’Antonin Artaud. Le tableau, longtemps considéré comme le dernier peint par Van Gogh avant son suicide, est décisif pour le poète, qui écrit : « Il n’est pas ordinaire de voir un homme avec, dans le ventre, le coup de fusil qui le tua, fourrer sur une toile des corbeaux noirs. » Pas ordinaire en effet, comme il n’est pas courant de voir, dans une exposition, une installation numérique se substituer à une œuvre originale. Et pourtant, dans ce cas précis, le dispositif complète, voire enrichit, le propos de l’exposition. Un pis-aller ? Sans aucun doute. Mais un pis-aller qui ouvre des perspectives intéressantes pour les musées. À condition de ne jamais oublier de garder le contact avec les œuvres.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°667 du 1 avril 2014, avec le titre suivant : Edito

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