Aurélie Filippetti, ministre de la Culture : « Partir des œuvres pour identifier le propriétaire au moment de la spoliation »

Ministre de la Culture et de la Communication, Aurélie Filippetti avait déjà restitué 7 œuvres aux descendants de leurs propriétaires légitimes en 2013.

Par Fabien Simode · L'ŒIL

Le 26 février 2014 - 759 mots

La France s’apprête à restituer trois œuvres aux descendants de collectionneurs juifs spoliés pendant la guerre : un paysage montagneux du peintre flamand Joos de Momper, un portrait de femme du XVIIIe siècle et une huile sur bois représentant une Vierge à l’enfant d’après Lippo Memmi, précédemment déposés au Louvre et au Musée des beaux-arts de Dijon. Cette restitution, la deuxième depuis l’arrivée d’Aurélie Filippetti au ministère de la Culture, témoigne du changement de politique de la France désormais « pro-active » sur le sujet.

L’Œil : Quelle est la nouvelle politique de la France en matière de restitution des œuvres spoliées par les nazis ?
Aurélie Filippetti : La restitution des œuvres spoliées par les nazis à leurs ayants droit constitue un devoir moral de l’État. Cette question a constitué pour moi une priorité dès mon entrée en fonction, et les restitutions opérées en mars 2013 m’ont donné l’occasion de mettre en place cette politique nouvelle. Certes, la politique de restitution n’a jamais cessé, même s’il y avait eu un ralentissement très net dans les années 1950-1990. Un nouveau dynamisme a été impulsé à la fin des années 1990, à la suite des travaux de la Commission Mattéoli. 102 MNR [Musées nationaux récupération, ndlr] ont été restitués et, depuis 2000, la moyenne est de trois par an, ce qui indique une accélération de la tendance. Mais il fallait passer à une nouvelle phase ; c’est pourquoi j’ai décidé de mettre en œuvre une démarche proactive, partant des œuvres, pour tenter d’en identifier le propriétaire au moment de la spoliation. Une fois ce fait établi, il devient possible de lancer une recherche pour identifier les ayants droit.

Combien d’œuvres MNR sont-elles concernées ?
Sur les 2 000 MNR, 145 sont considérés comme spoliés de manière quasi certaine. C’est sur la recherche des propriétaires de ces 145 œuvres que le groupe de travail, qui rassemble les meilleurs spécialistes français dans le domaine de la restitution des œuvres spoliées, s’est mobilisé. Une soixantaine de dossiers ont d’ores et déjà été répartis entre les membres du groupe. À ce jour, des hypothèses très sérieuses se font jour quant aux propriétaires de 28 œuvres. Tous les MNR sont des œuvres relevant du ministère des Affaires étrangères et mises en dépôt dans les musées nationaux. Ils n’appartiennent pas à l’État qui a le devoir moral de les conserver tant que leur propriétaire n’a pas été identifié. Aussi, tant que leurs propriétaires ou leurs ayants droit n’auront pas été retrouvés, il n’est pas question de changer leur statut, ni donc de les faire entrer dans les collections nationales.

De qui est constitué ce groupe de travail qui rassemble les meilleurs spécialistes et quelle est sa pérennité ?
Placé sous la responsabilité du ministère de la Culture, ce groupe associe des membres de la Commission d’indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), de la Fondation pour la mémoire de la Shoah et des personnels scientifiques de la Culture (Service des musées de France, Musées nationaux et Archives nationales) et des Affaires étrangères. J’ai voulu un groupe ouvert à toutes les compétences, au-delà des seules administrations de l’État. Ce groupe a évidemment vocation à poursuivre son action. Si les 2 000 MNR non encore attribués à leur légitime propriétaire ne correspondent pas à des spoliations, nous sommes aujourd’hui presque certains que tel est le cas pour un certain nombre d’entre eux. Le groupe de travail doit me remettre un rapport au mois de juin 2014. Cela permettra de déterminer les adaptations nécessaires, au vu de plus d’un an de travail, pour qu’il puisse poursuivre son action avec encore plus d’efficacité.

Cette politique ne risque-t-elle pas de s’inscrire dans le débat international plus large sur les restitutions, à la demande notamment des pays émergents, d’œuvres pillées ou saisies lors de campagnes militaires historiques ou de fouilles archéologiques ?
Il s’agit de deux sujets distincts, même s’ils renvoient à une exigence commune de déontologie dans l’action des musées à laquelle je suis très attachée. Le seul point commun entre les deux est la question des recherches approfondies de provenance. L’État n’est que dépositaire des MNR qui restent le bien de leur propriétaire au moment de la Seconde Guerre mondiale ou de ses ayants droit. En revanche, pour les œuvres pillées ou provenant de zones troublées, la France applique avec vigilance la convention de l’Unesco de 1970 sur le trafic illicite des biens culturels qu’elle a ratifiée en 1997. Les œuvres pouvant faire l’objet de demande de restitution de la part de pays tiers, notamment émergents, sont traitées au regard de l’application de cette convention.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Aurélie Filippetti, ministre de la Culture : « Partir des œuvres pour identifier le propriétaire au moment de la spoliation »

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