Des réminiscences de la vidéo dans 12 Years a Slave

Par Vincent Delaury · L'ŒIL

Le 20 février 2014 - 325 mots

12 Years a Slave, troisième long métrage du Britannique Steve McQueen, prend aux tripes : comment ne pas être ému par l’histoire véridique de Solomon Northup, un Noir kidnappé et vendu comme esclave à des propriétaires esclavagistes du Sud ?

Avec ce récit-fleuve, compte rendu cru de la vie des esclaves dans les plantations de coton au XIXe siècle, McQueen donne à la communauté noire des États-Unis, sous l’ère Obama, sa Liste de Schindler. Mais, au-delà de l’émotion ressentie, le coup de force de ce cinéaste plasticien est d’orchestrer un film « hollywoodien » qui ne renie rien de son radicalisme et de sa rigueur formelle d’ancien vidéaste – avec ses vidéos et installations sonores, il a été lauréat du Turner Prize en 1999. Ce qui est frappant avec 12 Years a Slave, curieux bloc filmique alternant lyrisme et réalisme brut, c’est de voir comment McQueen se sert de son passé d’artiste visuel pour questionner le médium cinéma et ainsi démultiplier la puissance de frappe de son cinéma, désormais narratif. Comment procède-t-il ? D’une part, son réalisme radical le pousse à un matérialisme de l’image. On n’est pas près d’oublier l’hyperréalisme des plans rapprochés, confinant à l’abstraction, qui montre frontalement les chaînes du prisonnier, la chair sanguinolente, la cueillette du coton et le mouvement impressionnant d’une roue à aubes ; celle-ci, battant l’eau comme un tambour, dit en un seul plan l’engrenage infernal dans lequel est tombé Northup : la traite des Noirs. D’autre part, le filmage en temps réel des pires atrocités (la pendaison lente d’un homme, les coups de fouet sur un dos déjà en charpie), via de longs plans-séquences, est saisissant. En se servant de son savoir-faire d’ex-vidéaste captant une performance – jusqu’à quel point filmer la résistance du corps humain ? –, Steve McQueen, sans pathos ni réalisme voyeuriste qui pousserait à multiplier les angles de caméra, dit tout de l’esclavage physique et mental de son personnage christique, à jamais inoubliable.

« 12 Years a Slave »

Film historique américain en couleurs de Steve McQueen, avec Chiwetel Ejiofor, Michael Fassbender, Brad Pitt. 2 h 13 min

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : Des réminiscences de la vidéo dans 12 Years a Slave

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