Art contemporain

Chaque mois, Élisabeth Couturier présente un objet cher à un artiste. Ce mois-ci...

La carte postale d’Agnès Thurnauer

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 19 février 2014 - 780 mots

« J’ai besoin de m’entourer de petits objets divers. Parmi ceux-ci, il y en a un que j’affectionne particulièrement : une carte postale représentant la palette de Claude Monet. »

Agnès Thurnauer y jette régulièrement un coup d’œil. Pour y trouver l’inspiration ? Y puiser une force mystérieuse ? Implorer la bienveillance des dieux de la peinture, discipline qu’elle pratique quotidiennement avec passion ? Ce petit rectangle en carton est accroché au mur, au-dessus de la longue planche qui lui sert de bureau dans son vaste et lumineux atelier situé à Ivry, et dont les fenêtres donnent sur un spectaculaire nœud ferroviaire. Elle poursuit : « Je l’ai achetée il y a une dizaine d’années au Musée Marmottan. Je l’ai perdue, puis rachetée. À la sortie d’une exposition, j’aime acquérir des cartes postales reproduisant des œuvres. Ça me permet de prolonger mes réflexions. C’est un support facile, ça s’accroche ou se pose n’importe où et ça s’envoie très simplement si l’envie me prend de faire partager mes coups de cœur. Mais surtout, ça me permet d’étudier une composition ou de me focaliser sur un détail. J’en ai toute une collection. » Oui, mais la carte postale représentant la palette de Monet résonne tout particulièrement dans la tête d’Agnès Thurnauer. On sent qu’une autre histoire se joue. À quoi ressemble cette palette ? Bien que classique, elle a une forme oblongue avec un trou de côté pour y passer le pouce et la tenir dans la main. Elle est détourée sur fond blanc. Elle est pleine de taches colorées : « La palette d’un travailleur acharné », souligne Agnès Thurnauer, fascinée par cet objet qui, à l’heure des écrans numériques, peut paraître anachronique. Elle-même en utilise une pour peindre ses grandes toiles sur lesquelles, souvent, mots et figures se superposent, se répondent, s’entrecroisent. Et dans lesquelles elle finit même par la coller sur la toile. L’artiste dont l’œuvre interroge le pourquoi et le comment de l’acte de peindre, qui transforme les jeux de mots en jeux visuels, qui entrechoque le métier maintes fois remis sur l’ouvrage avec les impératifs d’une actualité soumise à la pression de l’instantanéité, lui attribue une forte charge symbolique. Elle dit : « Le trou est un œil qui vous fixe et qui dessine un visage stylisé comme un masque africain. » Elle raconte l’alchimie qui s’opère entre le moment où les couleurs sont posées sur ce support et l’élaboration finale d’une peinture : « La palette peut se résumer ainsi : de la matière brute à la pensée pure ! » Et, d’ajouter : « Si on observe attentivement une palette comme celle-ci, elle a aussi la forme d’un cerveau. Finalement, c’est un objet qui fait la synthèse entre le côté artisanal du métier et la dimension intellectuelle que requiert la composition d’une image. » Et de poursuivre : « Une palette, c’est un concept en soi, un ready-made, tout comme l’urinoir de Marcel Duchamp. » Or, selon elle, la palette de Monet constitue le disque dur de son œuvre. Et, en règle générale, elle serait une parfaite métaphore pour signifier la réconciliation entre esprit et matière, corps et pensée. L’artiste a fait sienne la phrase de la chorégraphe américaine Yvonne Rainer, qui déclare : « The mind is a muscle » (l’esprit est un muscle). Elle pourrait l’inscrire en bas des œuvres où elle met en scène une contorsionniste en combinaison léopard devant  un fond composé par des unes de journaux. Mieux encore, Agnès Thurnauer s’est représentée en train de peindre, mais le visage tourné vers nous et caché par une palette vierge dont le trou laisse apparaître seulement son œil gauche.  Ne dit-on pas à propos d’art « avoir l’œil », comme on dit « avoir l’oreille » pour la musique ? Placée près d’une photographie de Niki de Saint Phalle et non loin d’un portrait d’Eva Esse dans son atelier, sa carte postale favorite fait partie de ce que l’artiste appelle « des compagnonnages qui me donnent de l’énergie. Des doudous psychiques sur lesquels mon œil se pose plusieurs fois par jour. Des grigris qui envoient un certain nombre de signaux subliminaux qui infiltrent mon travail. Autant de figures totémiques que j’ai installées dans mon environnement et dont je ressens  les bonnes vibrations. »

« Figure libre »
Espace d’art actuel Le Radar, Bayeux (14), jusqu’au 16 mars 2014, www.le-radar.fr

« Now when then »
Musée des beaux-arts de Nantes, du 28 février au 11 mai 2014, www.museedesbeauxarts.nantes.fr

« Re-la Naissance de Vénus »
Galerie De Roussan, Paris-20e, du 21 mars au 17 mai 2014, www.galeriederoussan.com

Journal et autres écrits
Collection Écrits d’artistes, Éditions École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, 20 €.

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Cet article a été publié dans L'ŒIL n°666 du 1 mars 2014, avec le titre suivant : La carte postale d’Agnès Thurnauer

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