5 clefs / Le bijou : miroir des sociétés

Par Bérénice Geoffroy-Schneiter · L'ŒIL

Le 27 janvier 2014 - 931 mots

Insigne de prestige et de gloire, cristallisation de superstitions et de croyances, le bijou trahit le rang et la fortune, et scande les différents moments de l’existence.

1 - Un symbole de pouvoir
Que l’on soit souverain africain, maharaja indien ou reine d’Angleterre, il convient de signaler son rang aux yeux de tous par le port d’un couvre-chef, d’une mitre ou d’une couronne. La tête n’est-elle pas, dans maintes civilisations, le siège de l’âme et de la pensée ? Bijou aristocratique par excellence, le diadème apparaît ainsi comme la version féminine de la couronne. La fascination que ce bijou exerce repose aussi sur son lien étroit avec le sacrement du mariage. C’est le joyau que l’on exhibera le jour de ses noces, et dont on hérite souvent par alliance. Dessiné par Cartier Londres en 1936, le Diadème Halo fut acquis par le duc d’York quelques semaines avant son accession au trône sous le nom de Georges VI. La duchesse York, son épouse, l’offrit pour son dix-huitième anniversaire à sa fille aînée, la future reine Elisabeth II. Remis en lumière lors du mariage du prince William avec Catherine Middleton en avril 2011, ce diadème a inscrit la jeune femme au cœur de la dynastie familiale. Symbole de la pérennité du pouvoir royal, c’était aussi un signal fort envoyé au peuple d’Angleterre. Moins spectaculaire que celui arboré par la reine Elisabeth le jour de ses noces, ce diadème offrait un parfait compromis entre faste et discrétion, à une époque où il est de bon ton de sacrifier à la « modestie » des apparences…

2 - Un précieux
Avant d’être une parure de séduction, le bijou a longtemps revêtu une fonction talismanique destinée à repousser le mauvais œil. Le collier appartenant au Trésor de San Gennaro n’échappe pas à la règle. Composé d’une multitude de pierres précieuses, il illustre avec éclat le lien étroit tissé entre les habitants de Naples et leur saint patron, San Gennaro (saint Janvier), mort en martyre sous les persécutions de l’empereur Dioclétien. Recueilli dans deux ampoules, le sang du saint a la réputation de se liquéfier trois fois par an, aux mêmes dates depuis des siècles… un phénomène miraculeux auquel la population napolitaine accorde tout son crédit depuis plus de mille deux cents ans. Le 13 janvier 1527, un contrat insolite a donc été signé devant notaire entre la ville de Naples et son saint patron : en échange de sa protection contre les irruptions du Vésuve et contre la peste, les Napolitains se sont engagés à constituer et à garder un trésor dans la chapelle qui lui a été consacrée dans la cathédrale. Spectaculaire assemblage de pièces réalisées entre le XVIIe et le XIXe siècle, le collier de San Gennaro est donc bien plus qu’un somptueux bijou : c’est un talisman pour la ville, le symbole de sa dévotion.

3 - Un instrument chamanique
Loin d’être de simples colifichets, les bijoux étaient, pour les peuples préhispaniques, des instruments au service de croyances magico-religieuses. Les métaux eux-mêmes étaient associés à des puissances divines. Ainsi, l’or passait pour être « la sueur du soleil », tandis que l’argent symbolisait « les larmes de la lune ». Aux côtés des représentations d’animaux et de plantes, la figure du chaman domine l’orfèvrerie précolombienne. Être de métamorphoses capable de dialoguer avec les différents niveaux du cosmos, il est souvent figuré sous les traits d’un « homme-oiseau » ou, comme sur ce très beau pectoral Tairona, en « homme-chauve-souris ». Arborant une grande coiffe, des boucles d’oreilles et des labrets, il découvre des crocs menaçants. Lorsqu’il est transfiguré dans cet animal, le chaman voit sa perception du monde inversée : il maîtrise l’obscurité, vit dans des grottes, et son entourage craint qu’il n’aspire aussi le sang. Le voyage chamanique n’est jamais exempt de dangers, pour le chaman comme pour les autres…

4 - Un signe ostentatoire de richesse
Chez les peuples nomades ou tribaux, le bijou constitue souvent une réserve monétaire propre à affronter les caprices du destin. L’accumulation de matériaux rares et précieux obéit aussi à un désir d’éblouir et de fasciner l’autre. Des parures en plumes amazoniennes aux couvre-chefs en perles des souverains Yoruba (Nigeria), le goût de l’ostentation le dispute à l’extravagance… Adepte de la vie occidentale (il jouait au cricket et fut le premier Indien à posséder une voiture et un avion), le maharaja de Patiala (1891-1938) a marqué l’histoire de Cartier en déposant, en 1925, plusieurs milliers de pierres précieuses à sertir de façon nouvelle. Parmi les réalisations les plus exceptionnelles sorties des ateliers s’impose ce collier de cérémonie qui devait assurer, à lui seul, la réputation de la maison de la place Vendôme auprès des richissimes princes indiens. Démantelé puis retrouvé en piteux état en 1998, il a fait l’objet d’une soigneuse reconstitution, qui a duré plus de trois ans.

5 - Un champ d’expérimentations formelles
Transcendant la valeur marchande ou l’aspect décoratif du bijou, redéfinissant son rapport au corps (qu’il contraint, prolonge ou amplifie), une nouvelle génération de créateurs expérimente de nouvelles formes, investit de nouveaux matériaux. Formés la plupart du temps dans des écoles d’art, ces derniers aspirent à inclure le domaine du bijou dans le champ de l’art contemporain. Émerveiller, intriguer voire choquer sont quelques-uns des effets qu’ils recherchent. Héritiers de Gilles Joneman ou de Jean Dinh Van (dont le minimalisme et la modestie des matériaux cassèrent les codes de la haute joaillerie), ces artistes à part entière stupéfient à leur tour par leur audace formelle, tels Marion Delarue et son spectaculaire Cracheh 1 (collier-minerve en laque coréenne) ou Emmanuel Lacoste et ses « bijoux de langue »…

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : 5 clefs / Le bijou : miroir des sociétés

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