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Le X-Acto de Renaud Auguste-Dormeuil

Par Élisabeth Couturier · L'ŒIL

Le 16 janvier 2014 - 739 mots

« Le X-Acto représente l’alpha et l’oméga de mon œuvre. Je le tiens toujours à proximité. Il occupe une fonction pratique, mais également métaphorique : j’aime trancher dans le vif, mais avec application et minutie ! », déclare tout de go Renaud Auguste-Dormeuil.

Une réplique digne de Michel Audiard pour un film de Georges Lautner ! Mais qu’est-ce qu’un X-Acto ? De quoi nous parle-t-il ? Les non-pratiquants l’ignorent.

En fait, il s’agit d’un stylo de métal ayant, comme embout, une lame de rasoir, fine et pointue. On la change lorsqu’elle est usée. C’est la version sophistiquée du cutter. Les architectes s’en servent pour fabriquer leurs maquettes. Avant Photoshop, on l’utilisait dans la publicité pour réaliser des collages qui préfiguraient les futures affiches : « Quand j’ai quitté les Beaux-Arts, j’ai fait différents boulots alimentaires, j’ai notamment travaillé dans ce secteur et aussi comme cartographe. Je passais mon temps à rechercher des images, à les manipuler, à les découper, à mettre de côté des éléments, des silhouettes… Je préparais des dossiers avec des gens qui couraient, qui marchaient, qui étaient assis, etc. Cela a nourri ma démarche qui consiste à interroger le statut des images », raconte Auguste-Dormeuil, fasciné par l’aspect quasi chirurgical du X-Acto. C’était alors son principal outil de travail. Et ça l’est resté : « Il me permet d’aller chercher ce qu’une image a dans le ventre, de la déconstruire, d’en traquer la face cachée. » Et l’artiste d’évoquer les peintures et gravures de Goya ou de Rembrandt montrant des chirurgiens à l’œuvre, un bistouri à la main, en train de disséquer un cadavre : « Des scènes passées à la postérité grâce aux peintres ! » Alors, pourquoi ne pas se servir du X-Acto comme d’un pinceau ? Un juste retournement des choses, finalement.

Mais revenons aux temps héroïques, ceux du découpage-collage sans repentir, ceux d’avant la fameuse manip « pomme Z » du MacBook Pro, grâce à laquelle aucune image originelle ne disparaît vraiment. Auguste-Dormeuil parle du choix irréversible qu’impose l’utilisation de son instrument fétiche. Il dit : « C’est comme dans la vie. Tu ne peux pas revenir en arrière. Tu dois vivre avec tes traumas. » Au demeurant, il se compare volontiers à un jardinier qui élague. Ou encore à un archéologue qui creuse et qui fait resurgir ce qui est caché. C’est le cas avec sa série Uncover, pour laquelle il a racheté un stock du magazine italien d’extrême-droite, Il Borghese, datant des années 1970. En couverture, une pin-up, au fil des pages des textes pro-fascistes : « J’ai fait “remonter” une image de propagande qui se trouve à l’intérieur. Pour cela, j’ai creusé le journal avec mon outil. Elle apparaît alors juste sous la pin-up. On ne peut plus s’y tromper : le propos sous-jacent de cette presse nauséabonde s’affiche à la une. » Extraire le superflu pour dégager la vérité. Inciser la matière pour construire un propos. Être attentif, aussi, à toutes sortes de ruptures. Tels sont les enjeux d’une démarche qui traque le signe, le signifié et le signifiant concernant tout ce qui croise notre champ de vision. Une linguistique au scalpel : « Toute image porte en elle une autre image, le plus souvent celle que l’on ne veut pas voir, et j’essaie de mettre cela en évidence. » Même objectif avec la recherche du chaînon manquant dans la série intitulée Alpenglow : « Mon grand-père était un amateur de photographie. Il a réalisé de nombreux albums de famille que j’ai pu récupérer. Dans l’un deux, on voit le portrait de mon père photographié chaque année jusqu’à ses 3 ans, puis, sans transition, cela reprend seulement quand il a 7 ans.

Que s’est-il passé entre-temps ? En fait, mon grand-père a perdu sa femme lorsque mon père avait 3 ans. J’imagine qu’il a fait un long deuil photographique. » L’occasion pour l’artiste de mettre en évidence la place qu’occupe ici, a contrario d’une coupe de séquoia, quatre année d’une vie : l’épaisseur d’une page d’album. Pour Auguste-Dormeuil, même si parfois elles brillent par leur absence, les images ont toutes quelque chose à révéler. Et le X-Acto constitue le meilleur moyen de les faire parler ! 

« Include Me Out »,

MAC/VAL, Vitry-sur-Seine, Renaud Auguste-Dormeuil, jusqu’au 19 janvier 2014

« Fin de représentation »,

Galerie Fabienne Leclerc, Paris Renaud Auguste- Dormeuil, jusqu’au 1er février 2014

« Il serait temps »,

Fondation Ricard, Paris, Renaud Auguste- Dormeuil, jusqu’au 25 janvier 2014

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°665 du 1 février 2014, avec le titre suivant : Le X-Acto de Renaud Auguste-Dormeuil

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