Un autre Doisneau

Dans la quasi-pénombre, c’est l’œuvre sombre de Doisneau qui s’offre d’abord au regard, celle des pavés, des banlieues grises, des petites gens, les photos d’un réalisme puissant prises au quartier des Halles, La Cour des artisans, superbe, mystérieuse, et un tirage recadré du Baiser de l’Hôtel de ville. Des photos, qui, au-delà de leur esthétisme, racontent une époque, un monde, celui dont Doisneau voulait révéler l’existence. Au bout d’un couloir, le passage à la lumière révèle un tout autre Doisneau, étonnant, insoupçonné, à travers des photos en couleurs et en grand format, aux antipodes des images précédentes. Ces photos furent prises en décembre 1960 dans le désert du Colorado à Palm Springs, refuge des riches retraités américains, à la demande du magazine Fortune. Leurs négatifs ne furent exhumés de son atelier qu’en 2010.

Au-delà du simple reportage pour lequel il a été mandaté, le photographe pose un regard amusé sur un univers artificiel, excentrique, peuplé de vieilles dames en étoles de vison en plein désert, de piscines désertes cadrées façon Edward Hopper et, enfin, cette femme, un pinceau à la main, la tête penchée à l’intérieur d’une américaine. Il joue ici avec ironie le parti pris de la quadrichromie et du style moderne. Étonnant parcours, qui nous montre deux mondes à travers deux approches esthétiques et nous démontre, si besoin est, la curiosité et le talent de Doisneau.