Mauvaises mines

Par Christian Simenc · L'ŒIL

Le 19 novembre 2013 - 493 mots

Design. Cet objet ne paie pas de mine et pourtant, mine de rien, c’est une singulière invention. Son nom : Mine Kafon – vocable tiré de l’abréviation de kafondan, qui en dari, la langue maternelle de l’inventeur, signifie « quelque chose qui explose ».

Il s’agit d’un appareil de déminage imaginé par Massoud Hassani. Ce jeune designer diplômé de la Design Academy d’Eindhoven en 2011 sait de quoi il parle. Né en 1983 en Afghanistan, il s’est réfugié aux Pays-Bas en 1998, à l’âge de 14 ans. Son enfance, il l’a passée à Kaboul où nombre de petits Afghans fabriquent de leurs mains leurs propres jouets, lesquels roulent parfois sur des champs de mines d’où il leur est strictement interdit d’aller les récupérer. Avec, gravé en tête, le souvenir de cet environnement ô combien dangereux, Massoud Hassani a donc planché, avec l’aide de son frère Mahmud Hassani, sur un appareil-démineur bon marché et fonctionnant à l’énergie éolienne. Objectif : éliminer les mines antipersonnel et autres munitions non explosées dissimulées dans le sol, afin que la population civile puisse à nouveau marcher sans danger. Le résultat est étonnant : on dirait des aigrettes de pissenlit géantes.

Cette « sphère » de deux mètres de diamètre se compose en réalité d’un noyau métallique de 17 kilos sur lequel viennent s’accrocher quelque 150 tiges de bambou munies de « patins » en plastique biodégradable. Ces derniers sont montés sur des suspensions, ce qui permet à l’engin propulsé par la force du vent de rouler allègrement sur des terrains accidentés truffés de bosses ou de trous. Poids total : 80 kilos, soit peu ou prou le poids d’un homme, charge suffisamment lourde pour, le cas échéant, faire exploser la munition. Le noyau central peut, en outre, être équipé d’un GPS, le trajet de Mine Kafon pouvant ainsi être enregistré en temps réel, ce qui permet de cartographier illico les terrains « nettoyés ». Déminer efficacement et à bas coût ces vastes zones « polluées », tel est le but ultime des deux frères qui avancent un coût par spécimen d’une quarantaine d’euros seulement, hors GPS. Pour l’heure, leur prototype a été testé par l’armée néerlandaise, laquelle le trouve encore « trop dépendant du vent ». Aussi les Hassani songent-ils déjà à l’adjonction éventuelle d’un moteur. Le temps presse. Selon l’ONG Handicap International : en Afghanistan, en 2011, plus de 800 personnes, pour la moitié des enfants, ont été blessées ou tuées par des engins explosifs, mines ou autres, restes des différentes guerres afghanes.

À VOIR
Un prototype du démineur Mine Kafon est actuellement visible au MoMA, à New York, jusqu’au 20 janvier 2014, dans l’exposition « Applied Design » [« design appliqué »].

À SAVOIR
Malgré la signature, en 1997, de la Convention d’Ottawa et leur interdiction, les mines antipersonnel continuent à faire des ravages dans de nombreux pays où elles sont malgré tout utilisées. On estime qu’une personne décède ou est mutilée toutes les 30 minutes.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°663 du 1 décembre 2013, avec le titre suivant : Mauvaises mines

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