FIAC : aller là où on ne l'attend pas

Par Martine Robert · L'ŒIL

Le 10 octobre 2013 - 1908 mots

La foire d’art qui se tient au Grand Palais du 24 au 27 octobre est à la croisée des chemins. Trop parisienne, trop à l’étroit, elle espère s’étendre au Petit Palais l’an prochain, s’enrichir d’une déclinaison pour les « galeries d’auteurs », et lorgne désormais vers l’Asie du Sud-Est ou l’Amérique
du Sud.

L’art a une valeur symbolique, culturelle, civilisatrice, spirituelle », aime à rappeler Olivier Kaeppelin, directeur de la Fondation Maeght. Mais l’art, c’est aussi un marché, bouleversé ces dernières années par la mondialisation. Les collectionneurs se sont multipliés, un engouement qui s’illustre par le succès des foires d’art. « Ces collectionneurs, hommes d’affaires, professions libérales, disposent de peu de temps et vont moins en galerie, préférant se focaliser sur quelques manifestations leur apportant une large vision du marché », constate Arnaud Dubois, responsable des placements art moderne et contemporain à l’Institut du patrimoine. Et ils aiment se retrouver dans ces événements où sont organisés pour eux parcours VIP, dîners et fêtes somptueuses, et où n’est pas admis qui veut… Du Liban à Hong-kong, des États-Unis à l’Europe, de Shanghai à Istanbul, de Dubaï à Singapour, chaque foire a sa dominante, urbaine ou balnéaire, lissée ou exubérante. Mais s’il existe des centaines de manifestations, une poignée seulement a acquis une stature internationale. Parmi celles-ci, Art Basel en Suisse, la Frieze de Londres (du 17 au 20 octobre) et, bien sûr, la très parisienne Fiac, qui ouvre le 24 octobre au Grand Palais. Et chacune de surveiller attentivement les innovations de l’autre.

Paris, un atout pour la Fiac, et un handicap
La Fiac, avec ses 184 galeries en provenance de 25 pays, et ses 70 000 visiteurs, tient bien son rang, bénéficiant de l’écrin patrimonial du Grand Palais, à deux pas des Champs-Élysées. En dehors du charme de « Paname », « l’attrait de la Fiac, c’est aussi et surtout la force de son contenu et son programme d’art hors les murs sans équivalent au monde », ajoute Jean-Daniel Compain, directeur général du pôle Culture et loisirs, chez Reed, organisateur du salon. La vitalité de la foire s’illustre en effet depuis peu dans son essaimage, des jardins des Tuileries ou des Plantes aux berges de Seine, du Petit Palais à la place Vendôme. Sans parler des nombreuses manifestations parallèles, imaginées par des marchands non retenus par la foire ou préférant monter leur propre événement, tels Cutlog, Slick, YIA, Salon Zürcher… Les musées se mettent au diapason avec une programmation en art   moderne et contemporain ambitieuse, tout comme les maisons de ventes aux enchères. Si la Fiac ne commercialise que 9 000 m2, contre 23 000 pour le leader mondial Art Basel, elle tire profit de cette richesse du off. « Cela permet de montrer tous les aspects de la création, y compris les formats pas faciles à présenter dans les foires, et d’offrir l’art à un très large public », insiste sa directrice Jennifer Flay, soucieuse de sensibiliser les acheteurs de demain. En confiant à cette ex-galeriste de renom la ligne artistique de la foire en 2003, le groupe Reed, leader mondial dans l’organisation de salons, a incontestablement donné une nouvelle dimension à la Fiac.

Pourtant, cette dernière souffre d’un handicap : elle reste centrée sur la France pendant que ses concurrentes se déclinent sur plusieurs continents, comme la Frieze à Londres et à New York, Art Basel à Miami et à Hongkong. Même de petites manifestations rejoignent ce mouvement comme Beirut Art Fair bientôt à Singapour. D’autres segments du marché de l’art s’y mettent aussi : la Biennale des antiquaires de Paris cherche à s’exporter à Hongkong après New York ; la TEFAF de Maastricht, foire d’art ancien élargie à l’art moderne et contemporain, a sollicité l’aide de la maison de ventes Sotheby’s pour s’implanter en Chine continentale ; le Pavillon des arts et du design est quant à lui organisé à Paris et à Londres ; enfin, Paris Photo a séduit Los Angeles…

Art Basel et Frieze,  deux stratégies de marque internationales
Il n’aura fallu qu’une dizaine d’années à la Frieze, plus branchée que la Fiac, pour attirer des galeries internationales et des artistes « bankables », sans négliger pour autant les jeunes pousses. La foire londonienne bénéficie du fait que près de la moitié des collectionneurs mondiaux sont encore anglo-saxons. Inaugurée en mai 2012, sa déclinaison new-yorkaise a été très appréciée, malgré l’existence d’un salon établi de longue date à Big Apple, l’Armory Show. Sous sa gigantesque tente installée à Randall’s Island, elle a su attirer des poids lourds comme Gagosian, Zwirner, Hauser & Wirth, mais aussi le gratin des acheteurs et conservateurs de musées. Il faut dire que la Frieze se déroule au moment des enchères d’art contemporain de mai, chez Sotheby’s, Christie’s ou Phillips, et des grandes expositions au MoMA, au PS1, au New Museum, ou dans les galeries de Chelsea. Cette implantation outre-Atlantique a été appréciée par nombre de marchands européens : parmi les 180 participants, 60 % étaient des habitués de la foire anglaise. Du coup, la Frieze peut se permettre d’être encore plus élitiste à Londres cet automne, avec une sélection de galeries resserrée (10 % de moins) et une présentation plus luxueuse et aérée.

Sur sa lancée, la Frieze n’exclut pas d’acquérir une foire en Asie – on évoque Singapour –, même si ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Ses organisateurs estiment qu’il faut deux à trois ans pour consolider une foire. Et ils doivent également transformer l’essai réussi de la première Frieze Masters : cette manifestation lancée par la foire sur ses terres londoniennes pour s’élargir à l’art moderne et ancien et répondre aux attentes d’une clientèle aux goûts plus matures, pourrait aussi franchir l’Océan. Autant d’initiatives qui confortent la « marque » Frieze, alors qu’outre-Manche, la Fiac prend le risque de se laisser distancer.

D’autant qu’Art Basel a pour sa part mis en place cette stratégie de marque à l’échelle de trois continents. À Bâle, la foire a renforcé son identité avec sa nouvelle extension construite par les architectes Herzog et de Meuron. À Hongkong, elle draine des acheteurs en provenance de toute l’Asie et affirme sa suprématie sur ses concurrentes régionales Art Stage Singapore ou Shanghai Contemporary Art Fair, la puissance de l’enseigne ayant « aimanté » les gros calibres, marchands comme acheteurs. « Art Basel, c’est une machine de guerre médiatique », souligne Jean-Marc Decrop, spécialiste en art chinois installé à Hongkong. À Miami, la foire capte les amateurs d’art d’Amérique du Nord et du Sud ; son modèle du « Sea, Sun and Art » y est bien rôdé, son nom résonne comme une promesse de vacances au cœur de l’hiver pour les Européens et les New-Yorkais.
« Art Basel Miami n’a pas de concurrent sur ce créneau des artistes et  collectionneurs mexicains et sud- américains. C’est une foire plus événementielle, ludique », souligne Michele Casamonti, de la Galerie Tornabuoni. Profitant de la douceur du climat, la version latino d’Art Basel joue le plein air, avec des œuvres vidéo projetées dans le SoundScape Park, sur le mur du New World Center conçu par Frank Gehry, tandis que le Collins Park accueille sculptures et performances. Les grands collectionneurs – la Cisneros Fontanals Art Foundation, les collections de la Cruz, Margulies, Rubell –  organisent des réceptions jet-set, prétextes à dévoiler leurs trésors. « Miami s’est imposée car un très grand nombre de collectionneurs du Brésil, de l’Argentine, du Mexique, du Chili ou du Venezuela ont une résidence secondaire ici, et leurs enfants y sont souvent scolarisés », commente la galeriste Nathalie Obadia. « Cette métropole à forte identité culturelle et architecturale est une ville de connexions », a coutume de dire Marc Spiegler, directeur d’Art Basel.

Un horizon à élargir pour la Fiac
Sans être un produit marketing comme les autres, les foires ont tout intérêt à capitaliser sur leur notoriété et à exporter leurs recettes à succès – œuvres de qualité, galeries reconnues, programmes VIP élitistes, avant-premières mondiales – tout en les adaptant à la couleur locale. Pourquoi la Fiac tarde-t-elle à exploiter son label alors même qu’elle est ancrée dans une capitale symbole mondial de culture, de luxe et d’art de vivre ? À Hongkong en particulier, elle aurait pu bénéficier d’un terreau fertile : le « French May », l’un des festivals culturels les plus prisés, organisé depuis une vingtaine d’années par le consulat français pour valoriser notre scène artistique. « Maintenant les jeux sont faits. Art Basel et Frieze sont déjà installées dans les villes intéressantes des États-Unis et de l’Asie », estime un important galeriste. Pourtant, la Fiac promet d’aller « là où on ne l’attend pas ». « Nous ne pouvons nous contenter d’être à Paris, nous avons reconquis la légitimité nécessaire pour investir l’étranger ; nous étudions l’Asie du Sud-Est, l’Amérique latine. Ce peut être la création d’un salon ou le rachat d’une manifestation existante pour gagner du temps, rétorque Jean-Daniel Compain. Mais attention, s’exporter est devenu une mode et il faut être prudent. Par exemple, Art Basel Hongkong doit réfléchir sur la mainmise à terme de la Chine continentale sur ce territoire. »

Une autre priorité se fait jour. À l’étroit dans sa base parisienne, contrainte de refuser des galeries pourtant sérieuses, la Fiac entretient sa réputation d’exigence mais déçoit nombre de marchands qui espèrent avant tout une déclinaison à Paris. « La Fiac a atteint la stature pour s’exporter, mais l’intérêt pour les galeries et le marché français, c’est surtout qu’elle se consolide chez nous, avec une seconde manifestation pour accueillir les galeries jeunes ou de taille moyenne », commente Romane Sarfati, conseillère de la ministre de la Culture Aurélie Filippetti. « La foire a su se remettre en selle et l’État y a contribué en achetant des œuvres afin d’envoyer des signaux forts au marché. Elle doit continuer à se développer, et les acteurs publics et privés doivent œuvrer ensemble pour promouvoir le marché de l’art, car nous manquons de galeries de taille internationale », observe de son côté Richard Lagrange, à la tête du Centre national des arts plastiques. Pour Angélique Aubert, qui a longtemps géré la collection d’art de la Société Générale, avant de devenir la conseillère de Laurent Dumas, patron du groupe immobilier Emerige et grand collectionneur, « la Fiac manque encore d’ampleur. Elle génère trop d’événements off mais doit elle-même occuper dès que possible tout le Grand Palais ». Le lieu n’en a hélas pas terminé avec les travaux de rénovation.

Conscients qu’une foire a besoin pour exister d’un tissu permanent de galeries tout autant que de rendez-vous réguliers avec les collectionneurs, les organisateurs multiplient donc les pistes de réflexion. Les négociations sont engagées avec le directeur du Petit Palais voisin, Christophe Léribault, pour y étendre la Fiac : « Le dossier pour 2014 avance mais n’est pas bouclé. Il est important pour Paris et la vie artistique d’aider au prestige d’une grande foire internationale dans la ville. Dès cette année, un groupe de Jean Dubuffet est implanté devant le perron du musée et invite le public à traverser l’avenue. » « Nous souhaitons ardemment dédier le Petit Palais aux chefs-d’œuvre d’art moderne du XXe siècle », confirme Jennifer Flay. « Mais ce n’est pas exclusif d’une autre manifestation que nous imaginons dans la capitale, centrée sur les galeries d’auteurs qui travaillent fidèlement avec des communautés d’artistes et de collectionneurs, mais n’ont pas forcément de velléités d’expansion internationale », ajoute-t-elle. Sur l’échiquier mondial de l’art, le détour par Paris reste incontournable.

Fiac et Paris Photo

Fiac (Foire internationale d’art contemporain), du 24 au 27 octobre 2013, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e, de 12 h à 20 h, le vendredi 25 jusqu’à 21 h. Tarifs : 35 et 20 euros.www.fiac.com

Paris Photo du 14 au 17 novembre 2013, Grand Palais, avenue Winston-Churchill, Paris-8e, de 12 h 30 à 20 h (jusqu’à 19 h le dimanche 17). Tarifs : 28 et 14 euros. www.parisphoto.com

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°662 du 1 novembre 2013, avec le titre suivant : FIAC : aller là où on ne l'attend pas

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