Rentrée littéraire

L’art en couverture fait-il vendre ?

Par Virginie Duchesne · L'ŒIL

Le 24 septembre 2013 - 888 mots

555 romans français et étrangers ont envahi les rayons des librairies en cette rentrée littéraire 2013. Dans un contexte économique morose, quelques maisons d’édition misent sur l’art pour illustrer leurs couvertures.

Il y a quelques années, le Wall Street Journal concluait ainsi son enquête auprès des lecteurs : « You can’t tell but you can sell a book by its cover. » Traduction : « Une couverture ne peut pas raconter un livre mais elle peut déterminer sa vente. » La phrase a probablement résonné dans la maison des éditions du Masque. Pour les couvertures de dix enquêtes d’Agatha Christie en réédition collector, elles ont choisi les images grinçantes de leur compatriote, le photographe contemporain Martin Parr. Sortis au printemps, les cinq premiers titres ont rencontré un succès immédiat auprès des libraires, qui y voient un excellent support marketing, et ont reçu un écho enthousiaste dans une large presse. Mais qu’en est-il des fidèles lecteurs de l’écrivaine, sensibles à son charme so british et à la couverture jaune du Masque ? « C’est un pari. Nous souhaitions dépoussiérer son image, toucher un nouveau public et faire se rencontrer deux mondes », explique Hélène Bihéry, l’éditrice de ces dix titres réunis en une Bibliothèque idéale. Grâce à ce mariage avec un grand nom de l’art contemporain, Agatha Christie se retrouve donc dans les colonnes des Inrockuptibles et exposée en vitrine de la marque de prêt-à-porter Sonia Rykiel, dans sa boutique de Saint-Germain-des-Prés. Mais les lecteurs semblent moins sensibles aux images du photographe anglais. « Les ventes ne sont pas à la hauteur de nos attentes », confie Loïc Ducroquet, directeur de la librairie L’Écumes des pages à Paris. Ce que confirme l’éditrice du Masque, misant sur l’effet Noël pour les cinq prochains titres à sortir cet automne.

Rien ne remplace le texte
Trop décalé Martin Parr ? « Les chefs-d’œuvre portent parfois en eux leur propre histoire, souvent trop lourde pour la mêler à l’écrit », estime Myriam Anderson, éditrice chez Actes Sud. « La couverture doit avant tout faire écho au roman, tirer vers le texte et non l’inverse. » La maison arlésienne fondée en 1978 par l’écrivain Hubert Nyssen, publicitaire de formation, fit la première le pari de la couverture illustrée, traditionnellement dévolue en France au roman de gare. Le fondateur souhaitait se démarquer des couvertures typographiques sobres des grandes maisons d’édition, particularité française qui contraste avec le clinquant des couvertures américaines, tout en s’adaptant au lecteur de l’Hexagone : plus d’élégance, de sobriété et de culturel. Mais le public du livre n’est pas celui des musées et des galeries. Graphiste depuis plus de vingt ans chez Actes Sud, Silvia Alterio juge par ailleurs qu’« un chef-d’œuvre ne fait pas forcément une belle couverture. L’image doit être facile à lire. C’est ainsi que le figuratif, plus narratif, est souvent privilégié. Nous utilisons aussi beaucoup la photographie qui a un aspect plus moderne. » Ainsi de l’image du photographe australien Bill Henson choisie pour la couverture du roman de Loïc Merle L’Esprit de l’ivresse pour entrer en résonance avec le texte sur le thème de l’adolescence. Quant aux œuvres peintes, elles sont plus fréquemment réservées aux romans historiques. Pensons à La Confrérie des chasseurs de livres (Actes Sud), le nouveau roman de Raphaël Jérusalmy dont l’histoire se déroule au XVe siècle, illustré d’une œuvre de Dino Valls, peintre contemporain figuratif à la facture classique, ou à L’Échange des princesses de Chantal Thomas (Seuil, Portrait de l’Infante d’Espagne par Alexis Simon Belle). C’est toutefois un peintre moderne qui remporte sans aucun doute la palme du nombre de couvertures de romans, publiés chez 10/18, Phébus, Rivages, Actes Sud, Julliard… : l’Américain Edward Hopper. Il faut dire que l’artiste réunit toutes les caractéristiques de la bonne couverture : une œuvre figurative que l’on situe immédiatement dans le temps (années 1940-1960) et dans l’espace (États-Unis). Dernièrement, son tableau Portrait of Orleans a trouvé un parfait écho à la fresque américaine de l’auteur genevois Joël Dicker, La Vérité sur l’affaire Harry Quebert (éditions de Fallois/L’Âge d’Homme), qui a reçu le Grand Prix du roman de l’Académie française en 2012. Au même moment, une grande rétrospective parisienne était consacrée au peintre, prolongeant d’autant l’écho visuel dans l’œil du lecteur.

Une oreille pour le marketing, l’autre pour leur sensibilité, les éditeurs ont peu à peu cédé à l’appel de l’image par le truchement du bandeau ou de la jaquette recouvrant le livre, privilégiant plutôt le portrait de l’auteur à cet emplacement. Mais ils n’ont jamais renoncé tout à fait à la couverture typographique. Celle qui a fait les grandes heures de « la blanche » de Gallimard, de « la jaune » de Grasset ou de « la bleue » de Stock reste un repère d’excellence. En France, l’impact de l’image ne semble pas avoir fait ses preuves sur les ventes. « Le succès des livres à couverture uniquement typographique ne se dément pas dans l’Hexagone, les grands lecteurs étant attachés aux maisons et donc à leur charte graphique, plus qu’à n’importe quelle couverture », reconnaît Marc Dalby, directeur des ventes chez Actes Sud. Cette année, même la maison arlésienne, pionnière de la couverture illustrée, a fait le choix pour les romans français de la jaquette que l’on peut retirer à sa guise. Preuve qu’en la matière, le chef-d’œuvre littéraire prime sur le chef-d’œuvre artistique.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°661 du 1 octobre 2013, avec le titre suivant : L’art en couverture fait-il vendre ?

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